Photographie

Jean-Pierre Laffont : New York en noir et blanc

Dans son dernier livre, qui vient de paraître aux Etats-Unis chez Peanut Press, le photojournaliste français installé à New York depuis 1965 raconte sa ville en dix-huit images emblématiques.
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Le Bronx, été 1966. © Jean-Pierre Laffont

Jean-Pierre Laffont a photographié la guerre d’Algérie, les funérailles d’Eisenhower et l’investiture de Nixon, les camps d’entraînement du Klan dans les forêts du Tennessee et le quinzième anniversaire du parc Disney World à Orlando. Mais New York, sa ville de cœur, demeure son sujet de prédilection. Des gangs du Bronx à la statue de la Liberté, occupée par un groupe de vétérans du Vietnam en 1971, en passant par le futuriste terminal TWA, où il accueille les vedettes françaises de passage, il a arpenté la ville, saisi ses facettes et ses personnages.

Pourquoi ce choix du noir et blanc sur la couleur ? « Quand j’ai commencé, c’était le format des débutants », explique le photographe. « La couleur, horriblement chère, était réservée à la mode et à la publicité. La photo de presse sera presque exclusivement en noir et blanc jusqu’au milieu des années 1970. Mon reportage sur l’île de Guam, d’où partaient les B-52 américains qui allaient bombarder le Vietnam, le Laos et le Cambodge, et celui sur la grande conférence évangélique de Dallas de 1972 – un ‘Woodstock religieux’ – furent parmi mes premiers travaux en couleur. »

« J’adore les films noirs des années 1940 et 1950, notamment La Cité sans voiles de Jules Dassin, et le travail de Jean-Pierre sur New York me rappelle ce style », ajoute sa femme Eliane, co-fondatrice des agences Gamma et Sygma, qui a édité New York Noir. C’est elle qui a retrouvé dans leurs archives la photo devenue la « signature » de son mari (voir ci-dessus) : dans une rue dilapidée du Bronx en 1966, un gamin tout sourire est juché sur le toit d’une luxueuse Plymouth abandonnée. Un tirage offert avec le livre. Et une métaphore de la ville à un tournant de son histoire : « On y voit la brutalité de l’époque, mais aussi l’espérance, l’exubérance que montrent ce gosse », apprécie le photographe. « Il est tourné vers le futur. »

New York en cinq images, par Jean-Pierre Laffont :

1.

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© Jean-Pierre Laffont

« Nous sommes en été 1966 et j’explore le Bronx. Je fais des photos pour le plaisir et pour m’imprégner de cette ville que je découvre. Je m’intéresse alors aux extraordinaires problèmes de salubrité. New York manque d’argent, tout est sale et les éboueurs ne passent que tous les dix ou quinze jours. Certains résidents jettent leurs déchets directement dans les cours, d’autres s’organisent pour nettoyer eux-mêmes leur quartier. J’ai pris cette photo depuis un balcon : je suis arrivé avec le Department of Sanitation, le service de la ville qui ramasse les ordures. J’ai profité de leur camion et de leur sécurité. Seul, je ne sais pas si je serais ressorti de cet immeuble avec mes deux appareils photo Leica ! »

2.

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© Jean-Pierre Laffont

« Le 28 juin 1970, j’ai suivi la première célébration new-yorkaise de la Gay Pride. La date correspond au premier anniversaire des émeutes de Stonewall, qui ont lancé le mouvement de libération LGBTQ+ aux Etats-Unis. Nous sommes partis de Christopher Street, haut lieu de la culture gay dans Greenwich Village, et avons remonté la 6e Avenue jusqu’à Central Park. Pour terminer la journée, un concours du plus long baiser a été organisé au milieu du parc ! C’était un grand moment de joie, d’amour et de liberté. Ce couple, qui s’est embrassé pendant des heures sous un parapluie, n’avait visiblement que faire des photographes ! »

3.

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© Jean-Pierre Laffont

« Au début des années 1970, pratiquement tous les matins, on retrouvait des corps défenestrés dans le quartier de Hunts Point, dans le sud du Bronx. Face à l’épidémie de drogue, un groupe de jeunes Portoricains avait réagi et s’attaquait aux dealers en les précipitant dans le vide. Le nom des Savage Skulls était dans tous les journaux. Curieux, je suis allé à leur rencontre en juillet 1972. La plupart ne parlaient pas anglais et n’étaient jamais allés à Manhattan, pourtant si proche. Ils m’ont montré leur quartier, leur QG, leurs armes – des chaînes, des barres de fer, des revolvers – et passaient leur temps à se battre entre eux et avec les autres gangs du quartier, comme les Dirty Dozens, les Seven Immortals et les Savage Nomads. Ils étaient comme des jeunes lions. »

4.

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© Jean-Pierre Laffont

« J’ai photographié plusieurs fois le marathon de New York. Cette année-là, en 1978, je travaillais pour l’agence Sygma. J’ai commencé ma journée au sommet des piles du Verrazzano Bridge pour assister au départ – c’était assez impressionnant ! Je me suis ensuite rendu à Harlem avant de reprendre le métro pour voir les coureurs à l’arrivée, dans Central Park. Les sportifs épuisés étaient emballés dans des couvertures de survie ; certains ne pouvaient faire un pas de plus et s’effondraient sur le bas-côté. Pour la première fois, la course passait par les cinq boroughs de New York et quelque 11 400 coureurs venus de 52 pays ont participé. La première fois que j’ai photographié le marathon, lors de sa seconde édition en 1971, il n’y avait guère plus de 150 coureurs et l’épreuve se déroulait entièrement dans Central Park ! »

5.

© Jean-Pierre Laffont

« Nous sommes en mai 1980, le pire de Times Square ! A 22 heures, les touristes regagnaient leur hôtel et laissaient place à une population interlope. C’était le quartier de la drogue, des peep-shows et de la prostitution. Les gigolos et les travestis sortaient plus tard dans la nuit. L’atmosphère changeait au fil de la journée. J’ai pris cette photo vers 3 heures du matin aux alentours de la 42e Rue. Les overdoses étaient fréquentes et les ambulances omniprésentes dans le paysage. C’était autre chose. Times Square était un vrai coupe-gorge avant que le maire de l’époque, Rudy Giuliani, ne ‘nettoie’ le quartier. Aujourd’hui, je n’ai pas peur d’y emmener mes petits-enfants ! »


New York Noir
de Jean-Pierre Laffont, édité par Eliane Laffont, Peanut Press, 2021. 40 pages, 125 dollars (édition limitée et signée, vendue avec un tirage).

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