Éditorial

La France et les Etats-Unis face au virus

Il est trop tôt pour se prononcer de manière définitive sur cette pandémie, mais il est possible d’esquisser un rapprochement entre nos deux pays, tant la pandémie photographie qui nous sommes.
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Un centre de vaccination contre le Covid-19 a été installé en juillet sur le parvis de l’Hôtel de Ville à Paris. © Sarah Meyssonnier/Reuters

La France et les Etats-Unis, malheureusement, figurent au palmarès des pays les plus atteints par la Covid-19. Nous en tenant au critère simple, peu contestable, du nombre de morts par million d’habitants, nous en sommes à 1 600 en France et 1 800 aux Etats-Unis, soit un total de 111 000 morts en France et 603 000 aux Etats-Unis. A développement équivalent aux nôtres, le Japon ne compte que 14 000 victimes (110 par million d’habitants). Le virus n’est donc pas seul responsable du désastre : il s’introduit par toutes les portes, mais renonce là où un masque ou un vaccin lui barrent le chemin. En d’autres termes, la pandémie est une fatalité relative, fonction de nos comportements et des politiques. Il est tôt pour se prononcer de manière définitive sur cette pandémie, mais il est possible d’esquisser un rapprochement entre la France et les Etats-Unis, tant la pandémie photographie qui nous sommes.

Dans nos deux pays, initialement, une même vanité nationale s’est manifestée par le déni : alors que l’Asie prenait la mesure du fléau, Français et Américains restaient hautains. Cette « grippette », disait-on à Washington et à Paris, ne pouvait pas déstabiliser nos pays, dotés – croyions-nous alors – des meilleurs systèmes de santé au monde. Ce vain nationalisme fit perdre aux Français et aux Américains six semaines fatidiques, permettant au virus de nous envahir. Ce déni initial fut meurtrier, la cause première d’une mortalité massive, irrattrapable. Lorsqu’enfin, en mars 2020, Donald Trump et Emmanuel Macron admirent que nous étions « en guerre », les failles de nos deux systèmes politiques apparurent, béantes.

La France, hyper centralisée depuis des siècles, accumula les retards dans l’obligation des gestes barrières, puis dans les commandes, acheminement et utilisation des masques et vaccins. Car rien ne saurait y être acquis sans que la décision ne soit disputaillée, avant d’être actée au terme d’une chaîne de bureaux jaloux de leurs prérogatives. On imagine le président français tout puissant, alors qu’en réalité, c’est un Gulliver ficelé par les nains de son administration. Emmanuel Macron ne pouvait échapper à cette histoire longue. En France, les élus commandent mais seule l’administration agit ; aux Etats-Unis, c’est plutôt l’inverse en raison du système des dépouilles.

Tandis que ces nains discutaient des normes acceptables avant qu’un masque ne soit homologué, on mourait faute de masques. Alors que les doses de vaccins étaient disponibles, les nains discutaient de la capacité du personnel infirmier à les administrer, de l’obligation qu’un médecin soit présent dans tout centre de vaccination, du formulaire de consentement à faire signer par tout candidat à la vaccination. Tandis que dans les ministères, on visait à la perfection bureaucratique et que, surtout, l’on veillait à ce que nul – en cas d’accident – ne soit tenu pour responsable, des Français mouraient. C’est alors que les maires, les seuls élus vraiment efficaces en France, proposèrent à l’Etat de prendre le relais et d’organiser localement la distribution des masques, puis les vaccinations. La bureaucratie d’Etat, défiée dans ses fonctions souveraines, prohiba ces initiatives. Avant de les autoriser avec retard, mais selon des normes édictées à Paris : des morts en plus. On dit en France que le pays crève de son Etat boursouflé : avec la Covid, la métaphore devint une réalité.

Aux Etats-Unis, le chemin du désastre, à l’inverse, fut une défaillance anémique de l’Etat central. Au nom du fédéralisme, le président Trump se défaussa sur les Etats de la lutte contre la pandémie. Il est vrai que la santé relève des Etats, mais n’était-on pas en guerre ? Si tel était le cas, il revenait à Washington de la mener, ce qu’il ne fit pas. En France, on mourait d’un excès de centralisation et aux Etats-Unis, d’un excès de décentralisation.

Au moins, la France fut-elle et reste épargnée par la politisation de la pandémie : si certains, en France, persistent à refuser la vaccination, leurs motivations sont religieuses, obscurantistes ou complotistes. Aux Etats-Unis, ces refus, dans l’ensemble, suivent une ligne politique. Les trumpistes manifestent leur attachement à l’ancien président par le refus du masque et du vaccin, pour leur malheur et celui de leurs voisins : en Amérique, la mortalité reste la plus constante dans les Etats républicains, tandis que New York, démocrate, a à peu près surmonté la pandémie.

Cette crise sanitaire aura révélé une autre distinction : la puissance de la recherche scientifique américaine qui, alliée avec le capitalisme américain, a d’emblée dominé le marché. Tandis que la France attendait tout de l’institut Pasteur, vénérable et public, Pfizer raflait la mise, suivi de Moderna. Ce succès d’entreprises américaines, dont le monde entier bénéficie, reflète l’avance dans l’innovation des Etats-Unis contre la France. L’économiste Philippe Aghion estime que le nombre de brevets innovants déposés chaque année aux Etats-Unis est cent fois supérieur aux brevets made in France. Un capitalisme américain adossé à l’Etat, car Washington accorde sa confiance aux entreprises profitables : c’est ainsi que Donald Trump, audacieux, acheta par avance des millions de doses de vaccins, non encore testés, aux laboratoires privés, tandis que les Français, en coopération avec l’Union européenne, pinaillaient sur les prix dans de laborieuses négociations avec ces mêmes laboratoires.

Dix-huit mois après le début de la pandémie, nos deux pays ont-ils pris acte de leurs défaillances ? Oui. Les fantasmes sur des remèdes miraculeux, comme la chloroquine chère au docteur marseillais Didier Raoult, se sont dissipés ; les charlatans ne font plus recette sur les réseaux sociaux ni sur les chaînes de télévision extrémistes comme Fox News aux Etats-Unis et CNews, son équivalent français. Il est majoritairement admis que seule la vaccination mettra un terme à cette pandémie. Il est aussi admis que la nouvelle génération de vaccins dits ARN est la solution efficace. A Washington comme à Paris, les gouvernements sont parvenus à une plus juste coordination avec les autorités locales, les Etats et les mairies, pour accélérer le rythme de la vaccination. Mais il reste lent face à la menace des variants parce que ni en France ni aux Etats-Unis, nous n’avons parachevé le discours persuasif qui balayerait les réticences des obscurantistes.

Dans nos deux pays, les doses sont là, leur efficacité est prouvée, les risques quasi inexistants, mais la demande est défaillante. Sans doute les gouvernements devraient-ils céder la parole à des avocats plus crédibles, plus persuasifs. Les Américains font plus confiance à leurs pasteurs qu’à leurs députés et les Français écouteraient plus volontiers Catherine Deneuve et Omar Sy leur parler du vaccin que le président Macron et son ministre de la Santé. C’est beaucoup demander aux hommes politiques que de céder le micro, mais le succès ultime contre la pandémie par la vaccination exige une mobilisation de la société civile.


Article publié dans le numéro d’août 2021 de
France-AmériqueS’abonner au magazine.