France-Amérique : Vous êtes né à Lomé, de parents togolais. Vous êtes aussi français et américain. Que représentent pour vous ces trois passeports, issus de trois continents différents ?
Claude Grunitzky : Je suis né à Lomé, la capitale du Togo, mais puisque j’ai été élevé à Washington puis à Paris et éduqué à Londres avant de m’installer à New York en tant que jeune entrepreneur il y a une vingtaine d’années, je suis citoyen du monde et cosmopolite. A l’heure des démagogies populistes autour du nationalisme politique, où l’on est souvent forcé de choisir son camp parce que le mot cosmopolite est devenu péjoratif, je revendique ce statut transculturel, avec mes trois passeports, puisqu’il me permet d’affirmer mes multiples identités et sensibilités, mais sans rien renier de mes origines africaines.
Quel regard portez-vous sur les récents mouvements sociaux qui agitent l’Amérique, de Occupy Wall Street à Black Lives Matter ?
A travers les médias que j’ai pu créer depuis 20 ans, j’ai cherché à combattre le racisme, mais aussi le sexisme et d’autres formes d’injustice. Le mouvement Occupy Wall Street a commencé devant mon immeuble, puisque je vis en face de la Bourse de Wall Street. A l’époque, en septembre 2011, j’avais beaucoup discuté avec les manifestants, mais je les sentais moins motivés. Ce qui se passe en ce moment avec Black Lives Matter est porteur d’espoir, puisque l’utilisation des nouveaux moyens de communication interactifs a permis la circulation intense d’images choquantes. Ces vidéos, filmées par des citoyens témoins, sont en train de forcer les dirigeants politiques et économiques à agir.
Vous n’avez pas caché votre soutien à Barack Obama et croyez à la victoire prochaine de Joe Biden. En quoi cette victoire serait-elle porteuse d’espoir ?
Je suis devenu Américain parce que l’élection d’Obama m’a donné énormément d’espoir. A l’époque, en 2008, j’étais ravi qu’il choisisse Joe Biden comme colistier, justement parce que je connaissais son parcours. Biden avait déjà prouvé au Sénat qu’il savait rassembler et qu’il était actif sur les sujets concernant la justice sociale. Biden comprend l’importance des échanges migratoires et de l’ouverture de la démocratie américaine, vu son attachement au pluralisme d’opinion. Les Noirs du Sud qui lui ont permis de gagner la primaire démocrate lui font confiance, parce qu’il encourage les cultures à dialoguer.
Vous avez développé dans un ouvrage publié aux Etats-Unis en 2004, puis dans une version française, le concept de « transculturalisme ». En quoi l’incarnez-vous ?
J’ai commencé ma vie d’entrepreneur dès l’âge de 24 ans, en tant que créateur d’un magazine des métissages, Trace. C’est en décodant les changements sociétaux sur trois continents, à travers le prisme du métissage culturel et des nouvelles identités hybrides, que j’ai développé le concept de « transculturalisme » avant d’en faire le fil rouge de toutes mes activités entrepreneuriales, culturelles et académiques. J’ai aussi créé avec deux associés une chaîne de télé, Trace TV, et plus récemment le média en ligne True Africa, toujours pour défendre les valeurs et les aspirations du transculturalisme.
A la lumière de votre expérience personnelle, quels sont les principaux défis à relever pour le modèle social américain et celui de l’intégration à la française ?
Les dirigeants en France et aux Etats-Unis doivent comprendre que les attentes des citoyens évoluent et que la nature des échanges se transforme au contact des différences et des nouvelles technologies, qui apparaissent comme plus puissantes que certaines traditions. Sauf à construire des murs, l’intégration doit s’accélérer à partir du constat que les cultures ne vivent pas en parallèle, de façon insulaire, mais dialoguent et, se faisant, se transforment. Mon hypothèse est que les changements sociétaux sont inévitables et que la revendication de la valorisation de la diversité et de l’égalité des chances peut aider à la cohésion sociale.
Entretien publié dans le numéro d’août 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.