Énergie

L’eldorado français des gaz de schiste aux Etats-Unis

Interdite en France, l’exploitation de cette nouvelle ressource suscite aux Etats-Unis l’intérêt d'entreprises comme Total, Vallourec, Veolia ou GDF Suez.
L’usine Vallourec de Youngstown, dans l’Ohio. © Center for Land Use Interpretation

Les gaz de schiste sont un sujet explosif. Ils suscitent à la fois les pires craintes et les plus grands espoirs. Les écologistes dénoncent leur dangerosité pour l’environnement. Les industriels promettent une baisse du prix de l’énergie et des créations d’emplois. Pour la classe politique, le principe de précaution prévaut toujours. L’exploration et l’exploitation – par la technique de fracturation hydraulique, ou fracking, jugée polluante – des gaz de schiste sont toujours interdites sur le sol français. Le pays disposerait pourtant des plus importantes réserves en Europe après la Pologne, avec quelque 5 000 milliards de mètres cubes de gaz. « Je laisse les entreprises, les chercheurs travailler et je prendrai mes responsabilités le moment venu si une technique apparaît », déclarait le président François Hollande fin novembre. En attendant, les groupes nationaux tournent leur regard vers l’Amérique.

Il faut dire que les Etats-Unis sont à l’origine de cette révolution énergétique, née il y a déjà plus de trente ans. La filière du gaz de schiste (shale gas) y a créé près de 600 000 emplois ces dernières années. Comme en France, la polémique fait rage. A la différence que la classe politique soutient massivement l’industrie gazière américaine. Le président Barack Obama parle même de « bénédiction ». Les Etats-Unis pourraient atteindre l’autosuffisance énergétique d’ici cinq ans en raison de la forte croissance de la production de pétrole et de gaz de schiste selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie. Une opportunité formidable pour les entreprises françaises. France-Amérique a listé les principaux groupes nationaux engagés sur le marché américain :

Total, le géant pionnier de l'extraction

Fin 2009, le pétrolier français prenait une participation de 25 % dans les gisements de Barnett Shale près de Dallas au Texas, propriété de l’américain Chesapeake. Ce champ de milliers de puits représente environ 35 % de la production américaine de gaz de schiste. Avant d’acquérir début 2012 un quart des gisements de l’Utica dans l’Ohio appartenant au numéro deux gazier des Etats-Unis pour près de 700 millions de dollars. Total devra également financer pour un montant maximal de 1,63 milliard de dollars sur une période de 7 ans maximum, 60% des investissements futurs de Chesapeake et de son partenaire EnerVest liés à la réalisation de nouveaux puits dans le cadre de la coentreprise, qui couvre un périmètre d’environ 2 500 kilomètres carrés. Pour le PDG de Total, Christophe de Margerie, l’exploitation du gaz de schiste en France permettrait « une certaine forme de révolution industrielle » comme aux Etats-Unis. « Les Américains ont des perspectives à moyen long terme qui font que les prix vont rester bas pendant longtemps. Cela leur permet d’avoir dès aujourd’hui des prix de l’énergie moins chers, surtout pour l’électricité », déclarait-il sur France Inter fin novembre.

CGG Veritas, spécialiste de la microsismique

L’entreprise française a signé début novembre un accord de partenariat avec l’américain Baker Hughes dans l’exploration et l’exploitation de gaz et pétroles de schiste. « Les hydrocarbures non conventionnels sont un grand défi de l’exploration pétrolière. La sismique y joue un rôle fondamental », a confié Jean-Georges Malcor, directeur général du groupe, au magazine Usine Nouvelle. « Nous menons d’importantes campagnes d’acquisitions aux Etats-Unis. L’objectif est de bien comprendre les veines de schiste, de trouver des réservoirs potentiels, de les caractériser par leur profondeur, par la ductilité et la fragilité de la roche. Grâce à la microsismique, nous pouvons aussi caractériser la fracturation hydraulique et la suivre en temps réel. » CGG Veritas améliore la connaissance des réservoirs et localise des gisements grâce à des techniques d’émission d’ondes sonores à travers les couches souterraines. En concurrence directe avec Schlumberger, leader franco-américain du secteur.

Vallourec, le tubiste mondial

Le fabricant français de tubes sans soudure a inauguré fin juin son usine américaine de dernière génération à Youngstown dans l’Ohio, générant la création de 350 emplois directs. Le leader mondial possède deux autres usines aux Etats-Unis, où il emploie déjà plus d’un millier de personnes. D’un coût de 650 millions de dollars, la nouvelle usine produira quelque 350 000 tonnes d’acier, qui seront transformées en tubes de forages haut de gamme. Les tubes de petit diamètre, capables de supporter de fortes contraintes physiques, permettront de forer à l’horizontale et d’atteindre des gisements de gaz non conventionnels. « La première production en continu a pu être réalisée le 26 octobre, en ligne avec l’objectif d’effectuer les premières ventes début 2013 », a précisé Vallourec. En mai 2010, l’usine en construction avait reçu la visite du président Barack Obama, venu défendre son plan de relance économique. Le gaz de schiste représente 80 % du chiffre d’affaires de l’entreprise en Amérique du nord, où les ventes se sont élevées à 1,4 milliard d’euros en 2011, soit 26 % du chiffre d’affaires total.

Solvay, le chimiste belge

Le groupe fabrique du guar, un gélifiant utilisé dans le processus de la fracturation hydraulique. « Depuis un ou deux ans se développe aux Etats-Unis une production de gaz non conventionnel, pour ne pas dire de gaz de schiste, qui a conduit à une révolution énergétique », affirmait le patron du groupe, Jean-Pierre Clamadieu, en juillet dernier. « Résultat, les Etats-Unis sont en train de devenir une zone dans laquelle l’accès à l’énergie devient très peu cher […], un paradis énergétique », ajoutait-il alors. « L’an dernier, nos achats de gaz se sont élevés à 500 millions d’euros. Si nous avions bénéficié des prix américains, nous aurions économisé 300 millions. » Le groupe Solvay a racheté fin 2011 son concurrent français Rhodia pour 3,4 milliards d’euros, avant d’intégrer le CAC 40.

GDF Suez, liquéfaction et exportation

Le groupe français étudie la possibilité de s’approvisionner en gaz de schiste américain afin d’en exporter vers l’Asie ou l’Europe. « Pour l’instant, nous n’avons pas de projet de produire du gaz de schiste aux Etats-Unis […]. Ce qu’on pourrait regarder éventuellement, c’est l’aval, c’est-à-dire la liquéfaction et l’exportation », déclarait Jean-Marie Dauger, directeur adjoint du groupe, en avril dernier. Tout en précisant que certains projets américains de construction d’unités de liquéfaction de gaz, comme le premier de Cheniere Energy censé entrer en service en 2015, n’aboutiraient pas. « D’un point de vue complètement rationnel, il faut se faire une idée de ce que sera le prix du gaz aux Etats-Unis en 2025 et le comparer avec ce que sera le prix du gaz en Europe ou en Asie », ajoutait Jean-Marie Dauger. Le géant français s’approvisionne majoritairement en gaz auprès de la Norvège, la Russie, ou l’Algérie, alors que le gaz de schiste américain coûte trois fois moins cher qu’en Europe. Par ailleurs, Suez Environnement, via sa filiale Ondeo Industrial Solutions a également travaillé un temps avec le géant américain Halliburton sur les problématiques de recyclage de l’eau.

Imerys, fournisseur de proppants

Le spécialiste des minerais a développé des proppants, des billes et cylindres de céramique de 100 microns à 1 millimètre nécessaires à la fracturation hydraulique. Ces agents de soutènement maintiennent les fractures ouvertes dans la roche pour libérer le gaz. Fabriqués à partir de minéraux, les proppants céramiques allient très forte résistance mécanique et légèreté. Une unité de production de 60 millions de dollars a été lancée à Andersonville dans l’Etat de Géorgie fin 2011. « Ce sont des marchés qui deviennent plus concurrentiels, mais la demande n’est pas encore satisfaite, au moins pour le long terme », a récemment confié aux Echos Thierry Salmona, directeur de l’innovation du groupe.

Saint-Gobain, fournisseur de proppants

Dès 2011, le numéro un mondial de la production, transformation et distribution de matériaux de construction a investi 100 millions de dollars aux Etats-Unis dans la création d’une usine de proppants de 140 salariés dans l’Arkansas, dont la production débutera fin 2012. « La croissance de la demande mondiale en énergie crée davantage d’activité pour les entreprises de forage de puits de gaz et de pétrole, dont les besoins en proppants seront supérieurs à notre seule capacité de production de Fort Smith », a déclaré John Crowe, PDG de Saint-Gobain pour l’Amérique du Nord. Le groupe français a inauguré depuis deux nouvelles usines dans l’Etat américain, la dernière à Saline County, le 31 août.

Veolia, le traitement des eaux

« Nous avons une expertise unique pour nous positionner sur les grandes problématiques environnementales. Nous sommes ainsi un des deux seuls acteurs au monde à savoir traiter les effets sur l’eau de l’exploitation des gaz de schiste », assurait le PDG du groupe français Antoine Frérot aux Echos, le 8 novembre. La technique controversée de la fracturation hydraulique, très consommatrice en eau, entraîne une remontée des eaux polluées qu’il faut traiter. Leader mondial de l’eau, Veolia Environnement y voit un marché prometteur et une piste pour un développement à l’international, notamment aux Etats-Unis. Sans compter que l’entreprise souffre de la concurrence sur ses marchés historiques. « En Europe de l’ouest, les prix de l’eau ne reviendront jamais au niveau passé », a reconnu Antoine Frérot.

SNF Floerger, la PME économe

Installée aux Etats-Unis depuis plus de 30 ans, l’entreprise française est spécialisée dans la production de substances chimiques, des réducteurs de friction qui diminuent les consommations d’eau et d’énergie lors du processus de fracturation hydraulique. Installée près de Saint-Etienne, SNF a su profiter à plein de l’essor du gaz de schiste aux Etats-Unis. Grâce à ses ventes de polymères multipliées par cinq ces trois dernières années, le groupe de 3 450 salariés contrôle aujourd’hui près d’un tiers du marché nord-américain. En Europe, l’entreprise stéphanoise s’intéresse de près au marché polonais.