Le 12 novembre dernier, un trois-mâts sorti tout droit du XVIIIe siècle glisse majestueusement vers l’entrée du port de Rochefort. La foule amassée sur le quai admire la coque noire et or, la proue bleu azur et les lettres jaunes, formant sur la proue le nom Hermione. Au terme d’un chantier titanesque de dix-sept ans, et après deux mois d’essais en mer, la réplique de la frégate ayant emmené le marquis de La Fayette lors de son deuxième voyage vers l’Amérique, est de retour au port.
Au XVIIIe siècle, l’Hermione a contribué au rôle historique du marquis de La Fayette pour la défense de la liberté américaine. Pour célébrer cette alliance historique, devenue le symbole des idéaux franco-américains, la réplique de l’Hermione refera en 2015 la traversée de l’Atlantique, comme au temps de La Fayette. Soit 235 ans après que le jeune militaire français est parti combattre les Anglais aux côtés de George Washington…
Le voyage historique de La Fayette
La Fayette quitte Rochefort le 19 mars 1780, et rallie Boston 38 jours plus tard – une traversée rapide pour un bateau à voile. Le jeune aristocrate français, 22 ans à l’époque, rejoint son ami George Washington pour l’assurer du soutien militaire accordé aux révolutionnaires par Louis XVI. Le 10 juillet, un contingent de 5 000 soldats, dirigé par Jean-Baptiste Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, débarque à Newport, dans le Rhode Island.
En mars de l’année suivante, La Fayette, devenu général major de l’armée continentale, se rend à Yorktown avec ses troupes ; en août, l’armée de Rochambeau, partie de New York, avance aux côtés de George Washington pour le rejoindre à Yorktown. Au même moment, une flotte française sous l’autorité de l’amiral François de Grasse quitte les Indes pour la baie de Chesapeake, afin de bloquer les Anglais et de combattre la Royal Navy.
Les Français sont arrivés juste à temps pour rejoindre les révolutionnaires et participer au siège de Yorktown : les approvisionner en troupes, en armes et leur fournir une expertise militaire. La capitulation de Lord Cornwallis, le 19 octobre 1781, marque une défaite britannique décisive et accélère la fin de la guerre.
L’intervention française a été un « tournant », commente Miles Young, président des Amis de l’association Hermione-La Fayette aux Etats-Unis, dans une récente interview accordée au New York Times. « Cette guerre n’aurait pas été gagnée sans le soutien des Français. » Concernant La Fayette et l’Hermione, « à la fois le bateau et l’homme ont été déterminants ».
La réplique des amis de La Fayette
L’association des amis d’Hermione-La Fayette a été créée pour organiser le voyage de l’Hermione aux Etats-Unis et au Canada. L’étape nord-américaine du voyage se déroulera durant six semaines. Elle débutera mi-juin à Yorktown, avant de s’arrêter à Mount Vernon, Alexandria, Annapolis, Baltimore, Philadelphie, New York, Greenport, Newport, Boston, Castine, Lunenburg, Nova Scotia et Halifax. « A chaque étape », explique Deborah Berger, la coordinatrice de l’opération, « nous prévoyons des évènements culturels et éducatifs binationaux. Des tall ships américains suivront et accompagneront l’Hermione de Philadelphie jusqu’à Halifax. »
La tradition française voulait qu’on donne des noms de femmes aux frégates. L’Hermione doit son nom à la figure mythologique grecque, fille d’Hélène de Troie et du roi Ménélas de Sparte. Plus petite qu’un navire de ligne, elle possède néanmoins un pont-batterie armé de 26 canons, tirant des boulets de 12 livres, ainsi que huit canons de six livres. Treize ans plus tard, alors que la Révolution française n’est plus qu’un souvenir, le trois-mâts s’échoue sur un banc de sable au large des côtes bretonnes et se brise avant de couler.
Un chantier titanesque
L’Hermione est l’une des quatre dernières frégates construites aux chantiers navals de Rochefort, entre 1778 et 1779. La ville fut l’un des centres de construction les plus en vue, mais son port décline dans les années 1920.
En 1992, « un groupe de rêveurs, de navigateurs enthousiastes et amoureux de l’histoire » a voulu reconstruire l’Hermione, dans le but de « faire revivre les chantiers de Rochefort, qui jadis ont produit les plus beaux bateaux de la flotte royale – tout en accomplissant cet exploit avec les techniques et le savoir-faire de l’époque. C’était une folie ! Mais toute la région – la ville, le département et la région Poitou-Charentes – a accueilli l’idée avec enthousiasme et s’est mobilisée, en levant des fonds, recrutant des historiens, artisans, ingénieurs et volontaires », écrit Le Monde.
De cette ferveur est née l’association Hermione-La Fayette, présidée par Benedict Donnelly, fils d’un militaire américain et d’une mère française. A ses côtés, on trouve entre autres Jean-François Fountaine, chef d’entreprise dans la construction de bateaux et ancien maire de Rochefort, et Erik Orsenna, écrivain primé et académicien.
« Le projet sur lequel nous travaillons depuis plus de 20 ans – reconstruire l’Hermione et faire du port de Rochefort un lieu de vie culturelle – aura abouti quand l’Hermione aura réédité le voyage de La Fayette vers les Etats-Unis », explique Benedict Donnelly. Le départ est prévu en avril, une période durant laquelle l’océan peut être agité. « C’est un vrai défi, pour l’équipage composé de professionnels et de volontaires, de traverser l’océan sur une frégate construite comme au XVIIIe siècle », admet-il. « Mais la traversée n’est pas un objectif en soi. Le voyage est avant tout une célébration de l’amitié franco-américaine. »
A l’époque de La Fayette, l’Hermione fut construite en 11 mois. Rochefort emploie alors des centaines d’artisans qualifiés pour travailler sur l’ouvrage. La construction de la réplique, utilisant les techniques d’époque, exigera dix-sept années de labeur.
Le premier défi a été de trouver des charpentiers, des maîtres voiliers, des forgerons, des calfateurs et autres artisans. Des travailleurs originaires de France, d’Allemagne, de Grande-Bretagne et de Scandinavie ont fait équipe. Les plans de construction d’origine ayant été perdus, il a fallu emprunter ceux d’un navire sœur, la Concorde, bateau de la marine royale britannique, qui avait capturé l’Hermione lors du combat naval de Louisbourg, en 1791.
Il a ensuite fallu trouver 2 000 chênes afin d’assurer l’approvisionnement en bois nécessaire aux 400 000 pièces sculptées à la main du bateau. Un groupe d’artisans s’est chargé de former des assistants, en majorité des jeunes volontaires, et à la fin de l’année 1997, ils avaient assemblé la quille et les membrures, un squelette sur lequel travailler. Pendant plusieurs années, ce travail complexe s’est effectué sous les yeux de centaines de visiteurs quotidiens, admirant les progrès du chantier.
En 2000, le pont principal prend forme. Sur la poupe est construite une galerie pour accueillir le quartier du capitaine, soit un bureau, une salle à manger et une alcôve pour dormir. Les canons en fonte, fondus à Ruelle comme les originaux, sont installés à bord et posés sur les affûts, puis attachés fermement sur le pont du bateau. En 2009, l’Hermione est peinte à la main dans ses couleurs d’origine, et 250 fleurs d’or sont collées sur le blason royal et sur d’autres parties du bateau.
Premiers ronds dans l’eau
En juillet 2012, l’Hermione quitte son port d’attache devant 65 000 personnes, et navigue sur la Charente avant de rejoindre le port commercial de Rochefort, où seront montés ses trois mâts. Depuis son installation sur la cale de production, l’Hermione a comptabilisé près de 4 millions de visiteurs. Le coût total du projet, estimé à 32 millions de dollars, a été financé de moitié par les droits d’entrée payés par les visiteurs du port de Rochefort ; le reste a été pris en charge par le gouvernement français, l’Union européenne et divers sponsors. Maryse Vital, directrice exécutive de l’association Hermione-La Fayette, estime qu’un demi million d’euros supplémentaires sera nécessaire pour « boucler le budget du voyage ».
Les organisateurs ont mis en place un comité d’historiens pour s’assurer de la fidélité historique du projet, mais certaines concessions ont dû être faites pour se plier aux réglementations internationales concernant les méthodes de construction. Il est par exemple requis que l’Hermione dispose d’un moteur et d’un équipement de navigation moderne. Et l’aménagement d’aujourd’hui, avec ses douches, ses lits et ses hamacs, est un luxe par comparaison avec les couchettes des membres d’équipage de l’époque, exigües, sombres, sales et sans air.
Le 7 septembre 2014, au milieu des drapeaux, des banderoles et des milliers de spectateurs, sur la terre et sur l’eau, l’Hermione s’est élancée une première fois sur l’Atlantique pour deux mois d’essais en mer. Yann Cariou, 57 ans, vétéran de la Marine française, est le capitaine de bord ; il emmènera l’Hermione jusqu’aux Etats-Unis. Charlène Gicquel, une ancienne lieutenante de la Marine de 29 ans l’assistera. Les essais en mer « vont nous permettre de voir comment le bateau réagit, et d’évaluer sa navigabilité », a expliqué Yann Cariou à la presse. « Cela va être un grand moment d’émotion. L’Hermione n’est pas un bateau comme les autres, et personne n’a navigué avec un tel voilier depuis deux siècles ! »
Dix jours plus tard, l’Hermione est contrainte de rentrer au port de la Rochelle, à cause d’une panne de moteur. Une fois remplacé, la frégate peut reprendre, avec succès cette fois, ses essais avec quelques jours de retard. Le point culminant du voyage sera le passage triomphant de l’Hermione à Bordeaux, où des vaisseaux de toutes tailles l’escorteront le long de la Garonne. Un village du XVIIIe siècle a été reproduit pour cette occasion sur le quai de Bordeaux et le maire de la ville Alain Juppé et d’autres VIPs ont visité le voilier, tandis que 88 bouteilles des légendaires grand crus bordelais issus du « classement 1855 » sont proposées aux enchères, au bénéfice du projet. Les tickets pour visiter la frégate se sont vendus en un clin d’œil.
Cette croisière d’essai a aussi permis aux 72 membres d’équipage – d’une moyenne d’âge de 27 ans, et composé d’un tiers de femmes – de tester leur pied marin. A l’époque de La Fayette, l’équipage comprenait 120 membres : en plus des marins, des hommes étaient chargés du maniement des canons. La réplique de l’Hermione n’est pas censée rencontrer des navires ennemis pendant sa traversée de l’Atlantique… Ses canons, de même taille et du même poids que les originaux, ne peuvent pas tirer ! Avec des armes en état de fonctionnement, l’Hermione aurait en effet été considérée comme un navire de guerre, et sujette à des standards internationaux différents.
Si le confort s’est amélioré depuis le XVIIIe siècle, la navigation reste un défi considérable. Les membres d’équipage doivent encore hisser et manœuvrer manuellement les immenses voiles, souvent sur des mers agitées. Un blogueur a écrit à ce propos qu’avec des vagues de trois mètres faisant tanguer le bateau, gréer la frégate équivaudrait à « escalader un métronome de 40 mètres ». Mieux vaut avoir l’estomac solide…
Mais pour l’équipage, le voyage vers les Etats-Unis est la promesse d’une belle aventure. « Dans chaque ville, des activités sont en cours de préparation », explique Deborah Berger. « L’histoire, la langue, la littérature, la technologie et l’art du XVIIIe siècle seront explorés et exposés dans les musées, théâtres, écoles et centres communautaires. Nous pensons que ces évènements laisseront aux relations franco-américaines un héritage à perpétuer dans les années à venir ».
La myriade d’évènements éducatifs inclut des expositions de photos, de documents divers, d’artefacts et autres objets dans de nombreux lieux : Lafayette College à Easton, en Pennsylvanie ; le Navy Museum et la Society of the Cincinnati à Washington ; la New York Historical Society ; le Boston Athenaeum… Le FIAF de New York produira également une pièce de théâtre en un acte à partir de la correspondance de La Fayette, et un programme d’échange sera inauguré : il s’étendra bien au-delà de 2015.
Les escales de l’Hermione
5-7 juin : Yorktown, Viriginie
9 juin : Mount Vernon, Viriginie
10-12 juin : Alexandria, Viriginie
16-17 juin : Annapolis, Maryland
19-21 juin : Baltimore
25-28 juin : Philadelphie
1-4 juillet : New York
6-7 juillet : Greenport, New York
8-9 juillet : Newport, Rhode Island
11-12 juillet : Boston
14-15 juillet : Castine, Maine
18 juillet : Lunenburg, Nouvelle-Ecosse
Article publié dans le numéro d’avril 2015 de France-Amérique. S’abonner au magazine.