Histoire

Louis Vuitton, un voyage au long cours

La célèbre maison française fêtait l’an dernier le 200e anniversaire de son fondateur : Louis Vuitton, modeste apprenti devenu malletier officiel de l’empereur Napoléon III et inventeur du célèbre damier beige et brun qui continue de faire fureur aujourd’hui. Retour sur une histoire du luxe à la française.
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Une élégante voyageuse et ses malles Louis Vuitton, vers 1927. © Thérèse Bonney/Louis Vuitton Malletier

Sur la page d’accueil de son site web, le groupe Moët Hennessy Louis Vuitton (LVMH) donne trois chiffres : 75 maisons, 44,7 milliards d’euros de ventes, 150 000 collaborateurs (en 2020). D’année en année, le groupe français conforte sa suprématie dans le secteur du luxe. Que ce soit dans la mode et la maroquinerie, les parfums et les cosmétiques, la joaillerie, le champagne ou les spiritueux, il réunit en son sein ce qui se fait de mieux dans l’industrie du chic et du voluptueux. Non sans associer à ses activités les créateurs les plus talentueux, tel l’Américain Virgil Abloh, directeur artistique des collections masculines de Louis Vuitton depuis 2018, emporté par un cancer le 28 novembre 2021 à 41 ans.

Toujours est-il que c’est à partir de la maroquinerie que s’est construit l’empire que dirige aujourd’hui Bernard Arnault, détenteur de la première fortune de France (161 milliards de dollars, selon Forbes) et de la deuxième dans le monde – après celle du fondateur d’Amazon Jeff Bezos.

Au départ de cette extraordinaire réussite, un artisan originaire du Jura, dans l’est de la France, non loin de la Suisse. Louis Vuitton naît le 4 août 1821 dans le hameau d’Anchay, à 40 kilomètres de Lons-le-Saunier, au sein d’une famille des plus modestes. Meunier et menuisier, son père François-Xavier lui apprend très tôt à travailler le bois. Le chêne, le merisier, le peuplier n’ont aucun secret pour le garçon. Des connaissances qui seront décisives dans le parcours du jeune Jurassien.

A 14 ans, ce dernier quitte le foyer familial pour aller tenter sa chance à Paris. C’est à pied, comme cela se faisait souvent à l’époque, qu’il parcourt les 400 kilomètres qui séparent son village natal de la capitale. En 1837, il entre comme apprenti chez un « layetier-emballeur-malletier » et s’initie à la fabrication des coffres de voyage. Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour faire reconnaître son savoir-faire. Néanmoins, ce n’est que dix-sept ans plus tard, en 1854, qu’il ouvre son propre atelier, rue Neuve-des-Capucines, entre la Madeleine et la place Vendôme, et crée la marque Louis Vuitton. La réussite est immédiate. D’autant que la maison compte parmi ses clients les plus fidèles l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III.

Le malletier de J.P. Morgan, Hemingway et Lauren Bacall

En 1858, Vuitton révolutionne le marché en créant les premières malles plates, plus faciles à empiler et donc à transporter que les traditionnels coffres bombés. Elles rencontrent un vif succès auprès d’une clientèle riche qui, avec l’essor des chemins de fer, s’abandonne aux plaisirs des voyages à longue distance.

Pour déjouer les contrefaçons, le malletier habille ses articles d’un imprimé beige et brun avec l’inscription « Marque Louis Vuitton déposée ». Autre innovation importante à l’époque, la fabrication des premiers bagages souple en cuir. En parallèle, l’entreprise se développe à l’étranger. La première boutique hors de France est ouverte en 1885 sur Oxford Street, la grande artère commerçante de Londres. Suivront d’autres magasins à New York et à Philadelphie.

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Pour faire face à la demande croissante, Louis Vuitton ouvre en 1859 un atelier de conception et de fabrication à Asnières-sur-Seine, au nord-est de Paris. © Louis Vuitton Malletier
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Dans la cour des ateliers Louis Vuitton à Asnières-sur-Seine, vers 1888. © Louis Vuitton Malletier

Après Louis, le fondateur, mort en 1892, plusieurs générations de Vuitton vont se succéder à la tête de l’entreprise, chacune d’elles apportant sa pierre à l’édifice. C’est en 1896, par exemple, que Georges, fils du patriarche, imagine le célèbre monogramme « LV », qui demeure à ce jour l’emblème de la marque. La société Louis Vuitton, devenue le leader mondial des bagages haut de gamme, fusionne en juin 1987 avec Moët Hennessy, champion du champagne et du cognac, pour donner naissance à LVMH. Peu de temps après, en 1989, l’homme d’affaires Bernard Arnault, associé au brasseur irlandais Guinness et soutenu par la banque Lazard, prend le contrôle de la nouvelle entité. S’il a réalisé une opération financière très habile, ce dernier ne vient pas de nulle part. Après avoir racheté le groupe textile Boussac, la maison de couture Christian Dior et Le Bon Marché, il est déjà un acteur important du secteur.

Passé en d’autres mains, LVMH connaît un nouvel essor, en s’ouvrant notamment à la joaillerie et à la mode. En 1997, les rênes du prêt-à-porter sont confiées à Marc Jacobs. Sous la férule du couturier américain, la notoriété de la griffe Louis Vuitton atteint des sommets.

Le groupe de Bernard Arnault ne crée pas de nouvelles entreprises : sa stratégie de développement consiste à racheter des enseignes prestigieuses et à créer des synergies entre elles. L’une de ses dernières acquisitions est le joailler américain Tiffany & Co., acheté en 2019 pour 15 milliards de dollars.Mais Bernard Arnault ne réussit pas à tous les coups. Ainsi avait-il échoué, à la fin des années 1990, à reprendre les marques de haute couture Gucci et Yves Saint Laurent, tombées dans l’escarcelle du milliardaire français François Pinault, son grand rival dans le monde du luxe.

Un tiers des ventes aux Etats-Unis

Numéro un mondial du secteur, LVMH devance Kering, propriété de François Pinault, et l’Américain Estée Lauder. Le groupe ne réalise que 5 % de ses ventes en France, les Etats-Unis en représentant à eux seuls 33 %. Avec plus de 270 milliards d’euros, il constitue désormais la première capitalisation boursière d’Europe, devant Nestlé et Roche. Bon an, mal an, la mode et la maroquinerie (entre autres Dior, Givenchy, Kenzo, Fendi, Berluti, Céline, Marc Jacobs et, bien sûr, Louis Vuitton) génèrent quelque 40 % du chiffre d’affaires. Les parfums et les cosmétiques (Guerlain, Givenchy, Dior, Benefit Cosmetics, Acqua di Parma…) en représentent 10 %, la joaillerie et l’horlogerie (Bulgari, Chaumet, Fred, Hublot, Tag Heuer, Tiffany…) environ 8 %.

Le créateur américain Virgil Abloh, décédé en novembre dernier, dirigeait depuis 2018 la ligne Homme de Louis Vuitton. © Louis Vuitton Malletier

De Moët & Chandon et Hennessy à Château d’Yquem en passant par Dom Pérignon, Krug, Veuve Clicquot, Canard-Duchêne ou encore Ruinart, sans oublier les whiskys Ardbeg, Cardhu, Glenmorangie et autres Talisker, le groupe est également propriétaire de marques prestigieuses du secteur des vins et spiritueux. Présent dans l’hôtellerie de luxe (sous les enseignes Cheval Blanc et Bulgari), il possède aussi de grands médias comme Le Parisien, Les Echos et Radio Classique. Mais le périmètre d’activité de LMVH ne s’arrête pas là. Le Bon Marché et la Samaritaine, deux des plus fameux grands magasins parisiens, lui appartiennent. De même que Sephora, chaîne de boutiques de parfums et produits cosmétiques présente dans 33 pays avec près de 2 300 boutiques.

Egalement engagé dans le mécénat, le groupe a inauguré en 2014 un magnifique musée dans le bois de Boulogne, la Fondation Louis Vuitton, destiné à promouvoir l’art moderne et contemporain. Malgré cette diversification tous azimuts, et même si chaque maison conserve et cultive une identité forte, Louis Vuitton reste la locomotive de LVMH, lui assurant la moitié de ses profits. Deux siècles après sa naissance, la figure tutélaire de l’artisan franc-comtois continue à inspirer les créateurs de la maison.

 

Article publié dans le numéro de février 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.