Marie-Antoinette aurait éclairé sa chambre avec des bougies Cire Trudon ! C’est le pari de la réalisatrice américaine Sofia Coppola qui a choisi les chandelles de la marque française pour le décor de son film Marie Antoinette (2006). A cette époque, la maison s’appelait encore Manufacture royale de cire. Dans le sillage de la cour, la flamme des cires Trudon – du nom de son fondateur Claude Trudon en 1643 – dansa sur les murs de Versailles, éclaira les palais de France, et se consuma de l’Ancien Régime de Louis XIV à l’Empire de Napoléon ainsi que dans toutes les grandes églises de France, qu’elle continue d’illuminer de nos jours.
Elle survécut même à l’arrivée du gaz pour l’éclairage domestique et à la naissance de l’électricité. Dans le roman César Birotteau, que la maison Trudon aime à citer, l’écrivain Honoré de Balzac rend hommage en 1837 à la marque : « Trois hommes allumaient les bougies. – Il faut cent vingt bougies, dit Braschon. – Un mémoire de deux cents francs chez Trudon, dit madame César dont les plaintes furent arrêtées par un regard du chevalier Birotteau. – Votre fête sera magnifique, dit Braschon. » A noter qu’au temps de Balzac, les bougies n’étaient pas encore parfumées : il faudra attendre les années 1950 pour cela.
De la manufacture royale à la marque branchée
Si les bougies Cire Trudon sont encore fabriquées à la main dans leurs ateliers de production de Mortagne-au-Perche, en Basse-Normandie, la maison a su se moderniser. Alors que la marque avait quasiment disparu entre 1884 et 2006, la relance de Cire Trudon est orchestrée en 2006 par le créateur Ramdame Touhami, nommé à la tête de la création. Autoproclamé « homme de la Renaissance », il entreprend de réhabiliter cette vieille enseigne. Il commence par fouiller dans les archives de la maison, redécouvrant ainsi sa devise latine dédiée aux abeilles qui ont fait sa richesse : Deo regique laborant, c’est-à-dire « Elles [les abeilles] travaillent pour Dieu et pour le Roi ».
L’idée de génie de Ramdane Touhami est d’avoir créé des bougies parfumées telles qu’elles auraient pu l’être si elles avaient existé à cette époque. De là est apparue toute une gamme dite « historique » avec des noms tels que « La Marquise », « Trianon » et « Mademoiselle de la Vallière » pour ne citer que quelques-unes. « Cire Trudon, c’est un pied dans le passé et un pied dans le futur », revendiquait l’artiste. « Nous sommes là depuis 1643 et nous voulons être là dans les trois prochains siècles. »
Pari réussi. Dans sa nouvelle boutique du Marais, à Paris, les prêtres en soutane venus s’approvisionner en cierges croisent les bobos et les jeunes mères de famille en quête de la bougie parfaite. Trudon fabrique aussi des bougies parfumées pour des marques de luxe comme Guerlain, Cartier, Dior ou Hermès. Mais aussi pour les restaurants, les hôtels (Trudon fournit le Ritz en bougies Oranger en fleur), les boutiques de mode et celles de mobilier.
Des boutiques de luxe en France et aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, où les bougies parfumées populaires ont longtemps été utilisées pour masquer les mauvaises odeurs plutôt que pour embaumer l’air, il y avait une place à prendre sur le créneau du luxe. « Aux Etats-Unis, j’ai souvent remarqué que nombreux étaient ceux qui avaient de réelles collections de bougies, comme des collections de parfums », explique Julien Pruvost, directeur exécutif de Cire Trudon. « L’usage de bougies parfumées est totalement dans les mœurs, je serais tenté de dire plus qu’en France ». Les Etats-Unis représentent le plus important marché à l’export de Cire Trudon, rappelle-t-il, « environ 40 % ».
A New York, on fête cette année le huitième anniversaire de la première boutique de Cire Trudon aux Etats-Unis, située sur Elisabeth Street dans le quartier de Nolita, réputé pour ses boutiques de mode et de décoration haut de gamme. [Trudon a depuis ouvert deux autres boutiques américaines, à SoHo et à Los Angeles, et vend aussi ses bougies Bloomingdale’s, Nieman Marcus et Saks Fifth Avenue.] L’architecte Fabrizio Casiraghi a su lui insuffler l’esprit français, s’inspirant notamment des célèbres miroirs de la galerie des Glaces de Versailles pour décorer les murs, en clin d’œil à l’histoire royale de la maison. Une laque rouge recouvre l’ensemble de la pièce, achevant de lui donner un style chic et feutré. La collection d’objets chinés confère à l’endroit des airs de cabinet de curiosités.
Des parfums qui racontent l’histoire de France
Les bougies, elles, sont exactement les mêmes en France et aux Etats-Unis. « Il n’y a pas d’approches différenciées selon les marchés », assure Julien Pruvost. Les fragrances sont composées comme de véritables parfums, avec notes de tête, de cœur et de fond. La plupart des parfums des bougies ont été créés par le nez et parfumeur Emmanuel Philip, originaire de Grasse et lui-même fils de parfumeur. Dans les boutiques Trudon, chaque bougie est placée sous une cloche de verre ; c’est l’air qu’elle contient qu’on inspire. Et puisque la maison cultive ses références historiques, elle y enferme des senteurs évocatrices de toutes les époques traversées par le vénérable cirier.
Un fond de cade, de sauge et de foin pour Empire, qui raconte les campagnes de Napoléon. Un cœur de thé et de menthe pour Dada, dont l’odeur mêlée de vétiver et d’eucalyptus est supposée « ouvrir nos champs magnétiques ». Au total, dix bougies narrent l’histoire de France, du Roi-Soleil à… Philippe Parreno. Car en se basant sur des rapports de la Nasa, le plasticien a créé une bougie qui reproduit l’« odeur de Lune » sur fond de métal en fusion et de bois sec fumé. Autres inspirations : le voyage (la bougie Ernesto avec ses notes de rhum, de bergamote et son accord de tabac et de cuir est une invitation à La Havane), la spiritualité (l’encens Spiritus Sancti, la bougie Carmélites) et les arts.
Bleu celadon et feuilles d’or
Pour les fêtes, on optera plutôt pour la bougie Nazareth associant cannelle, orange et clous de girofle. Ou pour ce coffret de trois bougies traditionnelles à l’accent oriental : Bethléem (ambre épicée), Gabriel (feu de cheminée gourmand) et Gaspard (mandarine boisée). Compter 65 euros en moyenne pour une bougie petit format, 105 euros pour une édition spéciale et plus de 500 euros pour une bougie grande taille (300 heures de parfum). Pour les esthètes, la maison mise cet hiver sur sa collection de Noël en travaillant comme toujours la feuille d’or. « Pour cette saison, nous nous sommes inspirés de notre boutique de New York aux accents Art déco pour imaginer un graphisme inspiré de cette époque. L’or, toujours présent, est associé avec un bleu céladon, une couleur ambre ou un taupe. »
La mode n’est pas en reste. « La collection comprend à l’heure actuelle trois produits dessinés en collaboration avec le couturier Giambattista Valli », rappelle Julien Pruvost. Positano et Rose poivrée, les deux bougies imaginées par le créateur en 2014, s’offrent aujourd’hui le luxe d’un coffret duo. Les notes de fleurs blanches et de citron de Positano évoquent la côte d’Amalfi. De l’autre côté, le Rose poivrée affirme des senteurs plus marquées entre la douce rose et le piquant du poivre noir de Toscane. Ces bougies en cire végétale, signature de la maison Trudon depuis 1643, se logent dans un écrin de verre soufflé à la bouche et habillé par un blason. Blanc sur verre blanc pour le modèle Positano, noir sur verre transparent pour Rose poivrée, détails de l’élégance chère au créateur italien. Une invitation au voyage sur les terres de Dante. Comme la madeleine de Proust, les bougies de Cire Trudon créent une ambiance et font ressurgir le passé. Le roi est mort, vive Trudon !
Article publié dans le numéro de décembre 2016 de France-Amérique. S’abonner au magazine.