En 1955, François Truffaut rencontre Alfred Hitchcock pour les Cahiers du cinéma. Naît alors l’idée du « Hitchbook » : un livre dont Truffaut serait l’initiateur et pour lequel Hitchcock accepterait de répondre à 500 questions portant sur sa carrière. En 2015, l’historien et critique de cinéma Kent Jones, directeur du festival de cinéma de New York et « ami américain » des cinéastes français dont il connaît très bien la culture et le cinéma, réalise un documentaire à partir de ce livre d’entretiens, 50 ans après sa parution. Le film Hitchcock/Truffaut est actuellement en salles américaines et bientôt disponible à la demande sur HBO Go.
« Le meilleur film de Jean Delannoy n’égalera jamais le pire film de Jean Renoir. » Par cette affirmation lapidaire en 1954, François Truffaut alors critique aux Cahiers du Cinéma et précurseur de la Nouvelle Vague, résume ce qu’il appelle la « politique des auteurs ». Lorsque l’on parle d’un bon réalisateur, peu importe de savoir si tel ou tel film a été un succès. Ce qui compte, c’est l’œuvre dans son intégralité.
En 1962, Truffaut poussera cette idée à son paroxysme. Devenu réalisateur avec Les quatre cents coups (1959), il propose au cinéaste anglais Alfred Hitchcock une série d’entretiens, « dans le but d’en tirer non des articles mais un livre entier », qui passerait au crible toute sa carrière depuis ses débuts à Londres en 1934. Truffaut, qui se qualifie d’ »hitchcocko-hawksien », veut prouver à ceux qui considèrent Hitchcock comme un simple amuseur qu’il est un grand cinéaste, peut-être le plus grand.
« J’ai eu envie un jour d’écrire ce livre, Le cinéma selon Hitchcock, surtout à l’usage des critiques américains, parce que j’ai été déçu, quand j’allais présenter mes films à New York, de voir les critiques condescendants à son égard. Ils ne semblaient pas comprendre les raisons de l’admiration dans laquelle on le tient en Europe. Certains intellectuels américains s’étonnaient que les cinéphiles européens, et particulièrement les Français, considèrent Hitchcock comme un auteur de films au sens où on l’entend lorsqu’on parle de Jean Renoir, Ingmar Bergman, Federico Fellini, Luis Buñuel ou Jean-Luc Godard. »
La lettre que Truffaut lui adresse, Hitchcock répond ému : « Vous m’avez mis les larmes aux yeux ». Il donne rendez-vous au Français le 13 août 1962 dans son bureau à Los Angeles. Pendant huit jours, on y parlera narration, élaborations visuelles de l’espace et du temps, lumières, jeux avec les spectateurs et les acteurs. Sur les bobines enregistrées, on découvre un Hitchcock styliste et théoricien, et un Truffaut, observateur de génie, qui pousse son interlocuteur dans ses derniers retranchements. La rencontre est immortalisée dans un livre, sobrement intitulé Le Cinéma selon Hitchcock. La bible de tout cinéphile.
Cinquante ans après la parution du « Hitchbook », le réalisateur Kent Jones revient, dans un documentaire bientôt disponible à la demande sur HBO Go, sur l’extraordinaire histoire de ce projet. À partir des enregistrements originaux de cette rencontre qui servirent à élaborer le livre, ce film met en image la grande leçon de cinéma du « Maître du suspense ». Sorti en salles en décembre aux Etats-Unis, le film analyse les échanges entre ses deux protagonistes et s’interroge sur l’influence que le livre a exercé sur les réalisateurs contemporains.
Le casting est prestigieux : on y retrouve les témoignages de Martin Scorsese, que l’on voit décrire par cœur les scènes clés de Vertigo ou Psychose, Wes Anderson, James Gray, Olivier Assayas, Arnaud Desplechin, et surtout David Fincher dont l’influence de Hitchcock ne cesse d’informer le style. Tous analysent les films, en décortiquent les scènes, plans par plans, et évoquent les principales obsessions hitchcockiennes : le péché originel, la trahison, le secret, la peur, le sexe. On évite les anecdotes. Pas d’entretiens avec des acteurs ou avec la famille des deux cinéastes. On se concentre sur l’essentiel : la mise en scène, les images, le cinéma dans ce qu’il a de plus jubilatoire. Le film, beau et fouillé, est le complément éclairant d’un livre indispensable.
Hitchcock/Truffaut
Film documentaire de Kent Jones, 2015.
Production : France, Etats-Unis.
Distribution aux Etats-Unis : Cohen Media Group.
Durée : 1h20.
Article publié dans le numéro de janvier 2016 de France-Amérique.