Le massacre des chats de la rue Saint-Séverin fut, de l’avis de ceux qui le perpétrèrent, « la chose la plus drôle qui se soit produite dans l’imprimerie de Jacques Vincent ». Il prit place en 1730 à Paris, dans le Quartier latin. Pour se venger de leurs maîtres qui les traitent moins bien que leurs propres chats, deux apprentis organisent le « plus grand félinicide de l’histoire de France ». Ayant convaincu les bourgeois que les animaux étaient possédés, ils mettent en scène un faux procès, assomment les chats, les condamnent à mort et les pendent.
Quelques années plus tard, l’apprenti Jérome – dont le véritable nom est Nicolas Contat – raconte la scène dans ses Anecdotes typographiques où l’on voit la description des coutumes, mœurs et usages singuliers des compagnons imprimeurs. Selon lui, la farce était hilarante.
Histoire culturelle et symbolique
« Pourquoi était-ce drôle à l’époque, alors que ça ne l’est plus aujourd’hui », s’est demandé Robert Darnton, professeur à Harvard. En 1980, cet historien américain spécialiste de l’imprimerie découvre l’anecdote et y consacre une partie de son ouvrage, The Great Cat Massacre.
Son chapitre consacré au massacre des chats de la rue Saint-Séverin est « une tentative anthropologique de comprendre le comique de la situation et de voir comment les travailleurs ont manipulé les symboles pour attaquer leurs maîtres de façon à ce qu’ils ne puissent pas les punir », explique l’historien. Cinquante ans avant la Révolution française, l’épisode marque la défiance des travailleurs à l’égard des bourgeois.
Robert Darnton insiste sur la « grande complexité des symboles utilisés par les ouvriers ». Le chat est alors en Europe un emblème des sorcières et de la sexualité. Le massacre est à la fois un procès, un épisode magique et une forme d’agression sexuelle envers l’épouse du maître imprimeur, qui voit sa chatte préférée torturée. Le tout se déroule dans les rires et dans les mois suivants, les ouvriers ne se lasseront pas de mimer la scène dans l’atelier.
Sur scène à New York et à Chicago
L’anecdote a passionné les artistes américains. Une première adaptation eut lieu sous la forme d’une comédie musicale présentée à Chicago. Une autre interprétation de l’évènement, mise en scène par Greg Moss et Casey O’Neil, sera présentée à New York jusqu’au 4 mars 2018. « Ce massacre se prête à l’interprétation théâtrale », explique Robert Darnton. « Il s’agissait déjà d’une sorte de spectacle de rue répété par les ouvriers par le mime. »
Sous la plume des dramaturges américains, le carnage devient un « conte des classes et du sexisme » et s’inscrit dans l’histoire politique actuelle. « Notre comédie musicale montre que les peurs collectives peuvent nous monter les uns contre les autres sans raison. Une rumeur ridicule – les chats sont possédés – peut se révéler dangereuse pour la communauté », explique la metteuse en scène Marella Martin Koch. « Il y a également une longue histoire d’amour entre Broadway et l’histoire française. » Les Misérables, adaptation du livre de Victor Hugo, Hamilton avec le personnage de La Fayette, ou encore Candide ont connu un grand succès.
The Great Cat Massacre
Du 17 février au 4 mars
Kraine Theatre, New York, NY