Culture

La Fondation Camargo, un refuge sur la Côte d’Azur

Créée en 1971 par le cinéaste et philanthrope américain Jerome Hill dans sa maison de Cassis, cette fondation accueille des artistes et chercheurs venus du monde entier.
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Le théâtre de la Mer à la Fondation Camargo, inspiré de celui de Delphes, en Grèce. © Viviana Peretti

Dans le moyen métrage Cassis, réalisé par Jerome Hill en 1950, le cinéaste, peintre et compositeur se met en scène chez lui, entouré de ses amis artistes : Jiki fait le portrait de Jeannine dans le garage, June chante face à la mer en s’accompagnant à la guitare et l’ethnologue Maud Oakes photographie le port de Cassis et le splendide cap Canaille, qui domine la Méditerranée. En haut de la propriété, sous un soleil brûlant, des ouvriers assemblent les galets ronds qui formeront la scène du théâtre de la Mer, un amphithéâtre antique décoré en son centre d’une étoile provençale à sept branches.

L’histoire de la Fondation Camargo commence au début des années 1930 quand Jerome Hill, petit-fils d’un magnat des chemins de fer du Minnesota, arrive en France pour étudier l’art. Ses professeurs lui conseillent de se rendre dans le Sud pour peindre en extérieur. A Cassis, l’artiste homosexuel trouve un lieu calme où créer et être pleinement lui-même. En 1939, il achète un cabanon, ancienne batterie de l’armée napoléonienne, qu’il transforme en atelier. Au fil du temps, la propriété s’agrandira avec l’achat de Pierrefroide, une villa qui appartenait à la peintre anglaise Madge Oliver, puis d’un hôtel désaffecté situé de l’autre côté de la rue où sont aujourd’hui installés la bibliothèque et les bureaux de la fondation. Construits entre la fin des années 1940 et les années 1950 avec des matériaux locaux, les bâtiments ne sont pas ostentatoires ; ils respectent la nature et la topographie.

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Jerome Hill et Brigitte Bardot à la Batterie, sa maison de Cassis, en 1959. © Peter Beard

En visitant aujourd’hui la maison principale et les douze appartements des résidents, aménagés très simplement, on peut se faire une idée assez juste de la vie à Camargo du temps de son fondateur. Selon Julie Chénot, directrice depuis 2017, l’origine du nom est assez floue. Clin d’œil à Mademoiselle de Camargo, chorégraphe de la fin du XIXe siècle qui a raccourci les robes pour montrer les entrechats, ou hommage à la Camargue et à la culture provençale ?

Une fourmilière de créativité

Les années 1950 et 1960 sont bouillonnantes. Proche de la scène expérimentale new-yorkaise, Jerome Hill invite en 1966 le cinéaste d’origine lituanienne Jonas Mekas à passer le mois de juillet à Cassis. Il y tournera trois films : Cassis, une vue du port filmé pendant 24 heures en accéléré, Mysteries and Smaller Pieces, captation d’une pièce jouée par le Living Theater, et Notes for Jerome, un portrait de son hôte. Un an plus tard, Jerome Hill a l’idée de transformer la propriété en résidence pour écrivains, artistes et scientifiques. Il choisit comme directeur Russell Young, un ami de longue date rencontré pendant la Seconde Guerre mondiale.

Refuge et lieu de création destiné à favoriser les échanges et l’interdisciplinarité, la fondation naît en 1971. « Au départ », témoigne Julie Chénot, « les résidents sont des chercheurs américains qui travaillent sur l’art et la culture française à travers le prisme de la Provence. La relation au paysage et au temps est forte, on peut à la fois être seul et vivre ensemble sur le site avec les autres résidents. » Après la mort de Jerome Hill, en 1972, Russell Young poursuit l’aventure. En 1973, il invite les résidents et leurs invités, ainsi que des gens du village, à la représentation d’Andromaque de Racine, jouée au théâtre de la Mer par Silvia Montfort et Alain Cuny.

Au fil des années et des directeurs, le rôle de la fondation s’est un peu modifié. « Elle s’est ouverte aux sciences sociales en lien avec la Méditerranée et aux penseurs », témoigne Julie Chénot. « Depuis la décennie 2000, la fondation est devenue plus internationale. Elle s’est tournée vers la francophonie, en relation notamment avec les Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence, et s’est mieux implantée sur le territoire. Cela n’avait plus vraiment de sens que ce lieu soit uniquement tourné vers les Américains, même s’ils représentent encore environ 40 % des résidents. »

Une fondation pour le XXIe siècle

Après quelques années de tâtonnements et une réhabilitation des bâtiments, la Fondation Camargo, qui a fêté ses cinquante ans en 2021, est plus active que jamais. Et ce grâce à une équipe enthousiaste, un conseil d’administration attentif dont fait partie l’écrivaine et historienne américaine Alice Kaplan et de nombreux partenariats : avec l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille ou la Villa Albertine des services culturels de l’ambassade de France aux Etats-Unis, qui accueille le photographe et plasticien Nicolas Floc’h.

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La Terrasse Chinoise, ainsi nommée en référence à sa pergola d’inspiration asiatique, surplombe le port de Cassis et la Méditerranée. © Viviana Peretti

Les artistes et chercheurs internationaux peuvent postuler à plusieurs résidences dont le programme phare, qui a permis d’accueillir plus de mille personnes depuis 1971, et The Cultural Diaspora, conçu en 2018 par le dramaturge afro-américain Carlyle Brown avec le metteur en scène américano-nigérian Chuck Mike. En mai dernier, tous deux étaient présents à la Fondation Camargo avec neuf dramaturges aux parcours très différents, originaires de Somalie, du Brésil ou du Zimbabwe. « The Cultural Diaspora est né de notre intérêt pour la culture africaine, ses transferts en Amérique et dans le bassin atlantique », explique Carlyle Brown. « Nous voulions explorer ce qui relie des dramaturges dont le travail est produit dans les cultures dominées. En nous ouvrant à des auteurs de la diaspora, nous avons découvert qu’ils partageaient une histoire sociale, politique et économique, même s’ils n’étaient pas reliés à cette idée d’une culture afro-atlantique. Nous pouvons écrire sans autocensure, sans le filtre de la culture blanche et occidentale qui a façonné nos récits. »

Rentré aux Etats-Unis après des années passées à Lagos, au Nigeria, Chuck Mike abonde : « Nous sommes un, malgré nos différences. Et cela arrive ici, face à la Méditerranée. Cette mer est l’ancêtre originel. Ce lieu nous aide de manière très puissante : l’architecture, le paysage, la beauté nous inspirent. Nous pouvons écrire, créer, être ! » Exactement ce que souhaitait Jerome Hill, dont le rêve perdure et continue de grandir.

 

Article publié dans le numéro de septembre 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.