Décryptage

La liberté de la presse a-t-elle ses limites ?

La presse française peut-elle tout dire ? Elle peut en tout cas aller très loin, forte d'un arsenal juridique qui lui garantit un vaste champ d'expression, en dehors de pare-feux interdisant notamment les propos racistes.
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La une du 19 septembre 2012 de l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo.

Le journal satirique français Charlie Hebdo a publié ce mercredi des caricatures du prophète Mahomet, suscitant des réactions diverses, tiraillées entre des condamnations pour « provocation » et la défense de la liberté d’expression. Charb, le directeur de l’hebdomadaire, brandit le principe de « la liberté de la presse » pour justifier sa démarche : « Il y a de la provocation comme toutes les semaines, pas plus avec l’islam qu’avec d’autres sujets. »

La liberté de la presse est « un droit fondamental » encadré par la loi, dont la caricature fait partie, a rappelé de son côté le ministre de l’Intérieur Manuel Valls. En France, la loi est claire en matière religieuse : « La liberté d’expression dans l’humour prévaut sur l’émoi provoqué auprès d’une communauté », explique Basile Ader, avocat spécialisé en droit de la presse. « Le symbole religieux n’est pas protégé par la loi. A partir du moment où c’est un organe de presse ouvertement satirique qui caricature tout le monde toutes les semaines, il n’y a pas de méprise sur la loi du genre. »

Déjà attaqué pour avoir publié des caricatures de Mahomet en 2006, Charlie Hebdo a ainsi été relaxé deux ans plus tard, la justice ayant estimé que les dessins ne constituaient pas une injure à l’égard des musulmans. Seules frontières à ne pas franchir pour les journalistes : tenir des propos négationnistes, appeler à la haine ou mettre en cause des personnes en raison de leurs origines religieuse, ethnique, raciale ou nationale. Or depuis la loi de 1972 contre le racisme et les discours de haine et celle dite de Gayssot de 1990 sur le négationnisme, les médias français se sont auto-disciplinés.

Vigilance

« Les journaux extrémistes qui diffusaient des idées haineuses, comme on pouvait le voir avant la deuxième guerre mondiale, ont été condamnés, ont cessé d’exister ou ont cessé de le faire », dit Basil Ader. Mais pour Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), la vigilance reste de mise au vu des réactions de certaines personnalités qui voient dans les caricatures de Charlie Hebdo un « excès ».

D’autant que la France reste mal classée en terme de respect de la liberté de la presse, selon RSF, qui souligne que les journalistes sont souvent inquiétés sur la protection de leurs sources lorsqu’ils enquêtent sur le pouvoir politique. « Si on considère que sur certains sujets, il ne peut y avoir que des discours apologiques, on n’est plus dans la liberté d’expression », analyse M. Deloire. « Autant les gens doivent être respectés, autant les opinions peuvent être exprimées et donc critiquées. Si chacun pose des interdits, on n’aura plus grand chose à se raconter. » Un avis que ne partage pas Erik Izraelewicz, directeur du Monde, quotidien qui avait pourtant soutenu Charlie Hebdo en 2006. Appelant au « sens des responsabilités », il estime : « On peut rire de tout, mais ça dépend à quel moment. »

Le principe de la liberté de la presse est inscrit dans plusieurs textes internationaux, dont la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1953 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en vigueur depuis 1976.