Paru en France en 2015, Un pays pour mourir entrelace, dans le Paris d’aujourd’hui, les voix de plusieurs immigrés venus du Maroc et d’Algérie. En France, qui incarnait à leurs yeux la liberté, les droits de l’homme et la richesse, leurs illusions se sont fracassées contre une réalité sordide. Pourtant, ils se sentent chez eux dans ce pays.
Quand Zahira, fière prostituée marocaine de quarante ans débute son récit, son ami Aziz, algérien, s’apprête à subir une opération pour pour changer de sexe. « Quitter mon sexe, mon genre, les hommes, être une femme », confie-t-il. « Etre une de mes sœurs. Avec elles. Loin d’elles. Couper tout ce qui est masculin en moi pour le devenir. » A l’âge de treize ans, après avoir grandi au milieu de sept sœurs aimantes, il a dû, pour obéir à la pression familiale et sociale, « porter le masque de l’homme ». Depuis, il est face au vide, dans un entre-deux, sans vraiment savoir qui il est. Dans un Paris populaire, les voix et les souvenirs se mêlent et se confrontent.
Les destins de Zahira et d’Aziz, devenu Zannouba, font surgir une multitude de questions sur la perte, les identités et les assignations, les tabous et les non-dits de part et d’autre de la Méditerranée. De leurs récits, qui s’emboîtent comme ceux de Shéhérazade, émergent d’autres personnages : Naïma, l’ancienne prostituée sauvée de la déchéance par un homme inattendu ; Allal, le premier amour de Zahira, humilié au Maroc parce qu’il est noir ; Mojtaba, un révolutionnaire iranien homosexuel qui fait découvrir à Zahira le jardin du Luxembourg, un lieu chargé d’histoire qu’elle pensait lui être interdit.
La troisième partie de ce roman sombre et dérangeant se tourne vers le passé pour raconter le destin de Zineb, enrôlée comme fille à soldats pendant la guerre d’Indo-chine, en 1954. Dans un style vif et tranchant, avec beaucoup de dialogues, Abdellah Taïa relie l’histoire et le présent pour saisir avec une grande justesse toutes les ambiguïtés du monde post-colonial.
Un pays pour mourir d’Abdellah Taïa, Seuil, 2015. 168 pages, 16 euros.
Article publié dans le numéro de décembre 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.