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André Leon Talley : le dernier empereur de la mode

C’est l’une des plus anciennes icônes de la mode américaine. Francophone et francophile, protégé de Diana Vreeland et ami de Karl Lagerfeld, André Leon Talley revient dans The Chiffon Trenches sur un demi-siècle de carrière dans la mode et sur la démesure d’une époque révolue.
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André Leon Talley à Paris, en 2007. © D.R.

Un défilé de haute couture à Paris, Milan ou New York, depuis trente ans, sans André Leon Talley assis au premier rang ? Impensable. Il était difficile aussi de ne pas le repérer : un géant de deux mètres en tenues spectaculaires – drapé tantôt dans des kimonos de soie, des caftans de jersey, des capes de velours colorées – et bien souvent le seul Noir dans la salle. Le milieu de la mode, souligne Talley dans ses récentes mémoires, The Chiffon Trenches, fut longtemps très blanc, à l’exception de quelques mannequins célébrissimes comme la top model Naomi Campbell.

ALT (son surnom dans le milieu) était à la fois chroniqueur pour les plus grands magazines – Interview, Vanity Fair, Vogue – et l’ami, le confident des plus grands, de Karl Lagerfeld en particulier, qu’il surnommera « le Socrate de la haute couture ». L’œil de Talley, sans concessions, savait repérer les futurs talents : l’exubérant couturier parisien Claude Montana, entre autres. Assumant tous ces rôles à la fois, Talley était une diva ; dans ses mémoires, il raconte que ce statut lui a permis d’évoluer dans tous les milieux et, en dépit des états d’âme et caprices extravagants des stars, de décrire un milieu très fermé.

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André Leon Talley chez Regine, à New York, en 1977. © Darleen Rubin/Penske Media/Rex/Shutterstock
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André Leon Talley avec Anna Wintour (à sa droite), vers 1989. © Marina Schiano

Talley lui-même en a fait les frais : en 2013, il a été évincé de Vogue par son éternelle directrice en chef, Anna Wintour, le trouvant dorénavant « trop vieux, trop gros et plus assez cool ». Talley, courtois, se vengera aimablement, en écrivant qu’Anna Wintour ne s’est jamais passionnée que pour le pouvoir, l’argent et les relations avec les annonceurs ; jamais pour la mode. Il est vrai que ses tenues, éternelles petites robes aux imprimés peu inspirants, ne sont pas un modèle de créativité…

A regret, Talley parle peu de lui-même. Issu d’un milieu fort modeste de Caroline du Nord, il se passionne enfant pour la littérature française et l’étudie à l’université de Brown. Il se destinait d’ailleurs à une carrière de professeur de français ; devenu parfaitement bilingue, nul ne saura plus désormais s’il est français ou américain. Les astres en décidèrent autrement. Alors qu’il travaille comme réceptionniste au magazine Interview, il fait la rencontre d’Andy Warhol dont il restera l’ami fidèle jusqu’à sa mort. Puis Diana Vreeland, ancienne papesse de la mode à la tête du Vogue américain, lui ouvrira grand les portes du métier qui le mènera notamment en France, où il se rendait régulièrement en Concorde pour faire la fête avec Yves Saint Laurent et Loulou de la Falaise dans des hôtels particuliers ou des châteaux, superviser une séance photo avec Madonna ou déjeuner avec Karl Lagerfeld, qu’il considérait comme son mentor.

Le monde que Talley nous raconte renaîtra-t-il sous une forme ou une autre ? Impossible à prévoir, mais sans diva et sans Socrate, ce ne sera plus jamais le même monde : lisant Talley, on songe à Marcel Proust évoquant un temps passé, certainement idéalisé et probablement disparu.


Article publié dans le numéro de septembre 2020 de France-AmériqueS’abonner au magazine.