Entretien croisé

Mode française contre mode américaine

Les femmes françaises préfèrent la qualité à la quantité, les Américaines sont plus décontractées… Les stéréotypes sur la mode – française et américaine – sont légion. Mais lesquels sont réels et lesquels relèvent du mythe ? Pour tenter d’approcher la vérité, nous avons rencontré deux femmes qui travaillent dans l’industrie de la mode : la spécialiste de la mode américaine Valerie Steele et la créatrice française Anne Fontaine.
© Anne Fontaine

Valerie Steele est la directrice du musée de la mode du Fashion Institute of Technology de New York, l’une des plus prestigieuses écoles de mode du pays. Titulaire d’un doctorat de l’université de Yale, elle s’est spécialisée dans l’histoire de la mode. Le Washington Post a dit d’elle qu’elle était « l’une des femmes les plus intelligentes du monde de la mode ». En plus d’organiser des expositions dans les musées, Valerie Steele a contribué à plus d’une vingtaine d’ouvrages consacrés à la mode, dont Paris Fashion: A Cultural History.

Anne Fontaine est une styliste franco-brésilienne connue pour avoir révolutionné le chemisier blanc. Elle a créé la marque qui porte son nom il y a 23 ans. Aujourd’hui, elle possède environ 70 bou-tiques à travers le monde – dont 25 aux États-Unis – et vit à Manhattan depuis deux ans.

France-Amérique : Comment définiriez-vous l’industrie de la mode actuelle, française et américaine ?

Valerie Steele : Ce n’est pas aussi simple que cela. Des créateurs venus du monde entier font leurs armes à Paris et ils inventent tous des styles différents. En ce qui concerne l’état d’esprit, à Paris les stylistes auraient peut-être davantage tendance à voir la mode comme une forme d’art avant-gardiste, tandis qu’en Amérique, on conçoit la mode comme un sportswear minimaliste. En France, l’accent est mis sur la créativité et l’originalité.

Anne Fontaine : En France, la mode fait partie de nos racines. Paris est le berceau de la haute couture et c’est encore le premier endroit qui vient à l’esprit lorsqu’on pense à la mode. Il y a une élégance française instinctive que les femmes ont adoptée. Elles ne songent pas tellement à ce qu’elles vont porter, tandis que c’est plus réfléchi aux Etats-Unis. Permettez-moi d’utiliser une analogie : lorsque des amis américains m’invitent à dîner, ils élaborent un menu, cherchent des recettes et font les courses en conséquence. Quand j’ai des amis qui viennent chez moi, je me dis juste : « Bon, qu’est-ce que j’ai dans le frigo ? »

christian-dior-dress-robe-Erwin-Blumenfeld-1949
Robe de soirée Christian Dior, 1949. © Erwin Blumenfeld/Condé Nast/Getty Images
tommy-hilfiger-fall-automne-2017
Tommy Hilfiger, automne-hiver 2016.

Valerie, vous avez fait de nombreuses recherches concernant les sources de la mode d’aujourd’hui. Historiquement, quelles ont été les différences entre les deux pays ?

Valerie Steele : Le vêtement de sport est la contribution américaine au monde de la mode. Juste après la guerre, Paris est revenu au sommet avec l’arrivée de Christian Dior et du New Look. Ensuite, les Américains ont commencé à se distinguer avec le sportswear. Par le passé, le prêt-à-porter américain était de meilleure qualité que ce qui se faisait en France. Les modèles copiaient la mode parisienne, mais les méthodes de coupe et de production étaient en avance sur l’Europe. La France comptait tellement de couturiers que personne n’achetait de produits de grande consommation. Mais au début des années 1960, les Français ont commencé à se dire : « Ne laissons pas les Américains copier nos vêtements ; créons nos propres collections en association avec les créateurs locaux ». C’est ains qu’est né le prêt-à-porter français.

Si l’on s’intéresse aux villes, où placeriez-vous New York et Paris aujourd’hui ?

Valerie Steele : Je dirais que Paris reste l’endroit le plus prestigieux pour créer et présenter la mode. Suivi par New York, mais cela ne cesse de changer d’année en année, Milan et Londres étant aussi des hauts lieux de la mode.

Anne Fontaine : Il existe aujourd’hui de nombreuses capitales de la mode, mais celle-ci trouve ses racines à Paris. New York est formidable pour le sportswear.

Existe-t-il des différences culturelles dans les comportements vis-à-vis de la mode ?

Valerie Steele : Il en existe de légères chez les femmes à Paris et New York. Il existe toujours parmi les fashionistas le sentiment que la mode à Paris est plus artistique que ce que nous avons ici en Amérique. Certains stylistes américains proposent une mode d’une grande qualité artistique, mais parce que l’Amérique est plus soucieuse du grand public, nombre de pièces vues lors des Fashion Weeks new-yorkaises sont plus communes que ne l’est parfois la mode expérimentale à Paris.

Anne Fontaine : Mes amis américains adorent copier le style et l’esprit français, avec des différences majeures. Les Américains aiment acheter des habits chaque semaine, les Français recherchent des vêtements intemporels, la qualité plutôt que l’achat coup de cœur. Demander conseil est aussi très américain. Les gens adorent demander des tuyaux parce qu’ils n’ont pas confiance en eux. En France, chaque femme a un style qui lui est propre. Si vous lui donnez un conseil sur ce qu’elle porte, elle vous regardera comme si vous étiez dingue.

Pour vous, que représente la Parisienne ?

Anne Fontaine : C’est une femme qui a une élégance naturelle. Elle ne dépend pas de la mode. En France, on ne frime jamais, pas plus qu’on n’essaie d’attirer l’attention.

Valerie Steele : C’est un mythe aussi populaire que tenace qui a toujours fait partie de l’image de la mode parisienne – la Parisienne, plus féminine et plus élégante que les femmes partout ailleurs dans le monde.

Anne-Fontaine-fall-winter-automne-hiver-2017 (1)
Anne Fontaine, automne-hiver 2017.

Anne, quels icônes de mode et créateurs contemporains vous ont inspirée ?

Anne Fontaine : J’adore Yves Saint-Laurent. Il est le maître des vêtements pour femme et pour homme. Il m’a beaucoup inspirée lorsque j’ai dessiné mes premières chemises blanches. Parmi les créateurs contemporains, j’adore Comme des Garçons et l’idée que son fondateur Rei Kawakubo fait de la mode non pas pour vendre, mais pour l’art.

Et qu’en est-il de l’élégance ? A-t-elle la même signification en France et aux Etats-Unis ?

Valerie Steele : Parler d’élégance américaine est problématique ; on se réfère au style new-yorkais, raffiné, qui varie selon les différentes catégories de la population. La façon de s’habiller dans l’Upper East Side n’est pas la même qu’à Chelsea ou à Brooklyn.

Anne Fontaine : L’élégance américaine est plus sophistiquée que l’élégance française. Par exemple, les Françaises n’aiment pas être trop maquillées, porter des vêtements soulignant les formes ou laissant voir la peau. Les Américaines, au contraire, s’acceptent. Elles n’ont pas peur de leur corps.

Avez-vous un vêtement favori, français ou américain ?

Valerie Steele : Je m’habille comme une ninja : pantalon noir, haut noir et baskets car je cours dans tous les sens. Je suis accro à deux marques françaises : Céline et Lemaire ; je possède de nombreuses paires de mocassins en cuir Céline et autant de pantalons Lemaire. Cependant, si je devais choisir un vêtement dans mon dressing, ce serait un pantalon en lainage noir de chez Céline.

Anne Fontaine : Mon vêtement français préféré est la chemise blanche, évidemment ! Concernant les vêtements américains, j’adore les leggings. New York m’a définitivement influencé sur ce point.

Selon vous, quel est le pire faux pas en matière de mode ?

Valerie Steele : Etre âgée mais s’habiller comme une adolescente ou être une fashion victim enfilant les dernières tendances des pieds à la tête, sans réaliser que cela ne correspond pas à votre personnalité ou votre style de vie.

Anne Fontaine : Voici la mentalité française : lorsque vous êtes vous-même, vous avez l’air belle dans ce que vous portez. A New York, j’adore les gens qui portent des trucs déments parce qu’ils sont également comme ça à l’intérieur ; c’est ce qui les rend si beaux.