Yves Saint Laurent fait l’objet d’une rétrospective au Seattle Art Museum jusqu’au 8 janvier 2017. Dans le livre Secrets de Couture, publié en France chez Rizzoli cet été et désormais disponible aux Etats-Unis, Pamela Golbin imagine une conversation avec le couturier légendaire.
Pamela Golbin, Conservatrice générale des collections de mode et textiles au musée des Arts décoratifs de Paris a puisé dans ses archives des entretiens avec les plus grands créateurs de mode. De cette matière documentaire unique, elle a cousu des entretiens posthumes avec onze couturiers de légende, de Paul Poiret à Alexander McQueen, en passant par Balmain et Balenciaga. A la fois imaginaires (ces interviews n’ont jamais eu lieu) et authentiques (toutes les informations sont avérées et les propos, méticuleusement sourcés, ont bien été tenus), ces dialogues nous emmènent dans les ateliers des grandes maisons de couture parisiennes, à la découverte des collections. Magie des étoffes, naissance d’un vêtement, leçons d’élégance… très bien documentées, ces conversations fourmillent de conseils de mode, d’anecdotes biographiques, de bons mots et de citations de créateurs.
A l’occasion de la grande rétrospective Yves Saint Laurent au Seattle Art Museum du 11 octobre 2016 au 8 janvier 2017, dont France-Amérique est partenaire, nous vous offrons un extrait de l’entretien imaginaire avec Yves Saint Laurent. Retrouvez l’intégralité de l’entretien dans le numéro de septembre 2016 de France-Amérique.
Pamela Golbin : Comment avez-vous débuté dans ce métier ?
Yves Saint Laurent : J’avais envoyé des dessins à Michel de Brunhoff [le rédacteur en chef de Vogue France], qui m’a conseillé un stage à l’école du Syndicat de la couture parisienne. Je savais dessiner, mais j’ignorais la coupe et c’est là que je l’ai apprise… Enfin, disons que j’en connais les principes essentiels ! C’est à ma sortie de l’école que Jean Cocteau et Christian Bérard m’ont présenté à Christian Dior. Ce fut une grande chance pour moi. Je n’avais plus qu’à continuer dans ce métier, qui me passionne (car il me faut vous avouer que je suis tout à fait incapable de faire ce qui ne me plaît pas !) [1]
Votre talent a été unanimement reconnu dès votre premier défilé. Quel fut le secret de fabrique pour cette collection ?
Très simple. J’ai allégé les vêtements de M. Dior. J’ai enlevé le padding, la toile, le corset. [2]
D’où provient l’inspiration de votre smoking féminin ?
J’ai été profondément frappé par une photo de Marlene Dietrich portant des vêtements masculins. Un smoking, un blazer ou un uniforme d’officier de marine, peu importe. Une femme habillée comme un homme doit être au summum de sa féminité pour affronter à armes égales un costume qui n’est pas le sien. Elle doit être impeccablement maquillée, et raffinée jusqu’au moindre détail. [3]
Si vous aviez pu inventer un vêtement, lequel serait-ce ?
J’ai souvent dit que j’aurais aimé avoir inventé les blue-jeans : les plus spectaculaires, les plus pratiques, les plus décontractés et nonchalants. Ils ont l’expression, la modestie, le sex-appeal, la simplicité – tout ce que j’espère mettre dans mes vêtements. [4]
En 1983, le prestigieux Metropolitan Museum of Art a consacré une rétrospective de votre œuvre, une première du vivant d’un couturier. Comment l’avez-vous vécu ?
C’est extraordinaire de voir son travail rassemblé de cette façon, ces vingt-cinq années. J’ai choisi les robes, et c’était étrange de les retrouver et de constater qu’elles n’avaient pas changé. Quelques-uns de ces vêtements étaient des articles que nous avions mis de côté, d’autres appartenaient à des clientes ; il y avait aussi une sélection de quarante modèles que Diana Vreeland avait achetés chez Dior. Ce qui m’a le plus frappé, c’est qu’il n’était pas possible de dater mes vêtements, ce qui, après tout, est la réussite de ma vie – la plus grande satisfaction que j’aie jamais ressentie dans mon travail, sinon dans ma vie. [5]
[1] Claude Cézan., La mode, phénomène humain, Editions Privat, Paris, 1967, p. 131.
[2] Frantz-Olivier Giesbert et Janie Samet, « Yves Saint Laurent : Je suis né avec une dépression nerveuse… », Le Figaro, jeudi 11 juillet 1991.
[3] Joan Juliet Buck, « Yves Saint Laurent, the genius of style », Vogue US, décembre 1983, p. 301.
[4] Yves Saint Laurent, Yves Saint Laurent par Yves Saint Laurent, p. 23-24.
[5] Joan Juliet Buck, « Yves Saint Laurent, the genius of style », Vogue US, décembre 1983, p. 396.
Secrets de Couture, Pamela Golbin, Rizzoli, 2016. 240 pages, 35 euros.