« Je ne fais pas la mode, je suis la mode », a déclaré un jour Coco Chanel. Si les villes pouvaient parler, Paris aurait sans doute fait sienne cette formule. Malgré la concurrence de New York, Milan ou Shanghai, Paris demeure LA ville de la mode, avec le style pour ADN. L’exposition Paris, Capital of Fashion (Paris, capitale de la mode), qui débute ce mois-ci au musée du FIT, retrace les étapes de sa riche histoire, en présentant au public une centaine de créations et accessoires, des années 1700 à nos jours.
« Certes, de nombreuses expositions s’intéressent à la mode parisienne et nous rappellent que s’il existe une capitale en la matière, c’est assurément Paris », explique Valerie Steele, directrice du musée et commissaire de l’exposition. « Le berceau de la haute couture cache un je-ne-sais-quoi. En revanche, c’est la première fois qu’une exposition montre comment la Ville lumière a su se rendre incontournable, et créer et entretenir cette aura qui en fait la ville du style par excellence. »
Tout a commencé sous Louis XIV, qui considérait la splendeur de sa garde-robe comme partie intégrante de la grandeur de Versailles. Pour Jean-Baptiste Colbert, son ministre des Finances, la culture, l’artisanat et le style français étaient des vecteurs de pouvoir et de prestige de la monarchie. Il a donc strictement réglementé la production nationale, voyant d’un très mauvais œil les importations étrangères. L’industrie textile était de ce fait placée sous protection royale. Colbert aurait affirmé que « la mode est à la France ce que les mines d’or du Pérou sont à l’Espagne ».
Dans le premier chapitre du catalogue de l’exposition, Valerie Steele tisse un fil conducteur allant « de la splendeur de la cour royale au spectacle de la haute couture ». Cette splendeur est un thème cher à la mode française, comme en témoignent deux pièces de l’exposition. La première, qui figure sur la couverture du catalogue, est une courte robe rouge et or dessinée par Karl Lagerfeld pour la collection Chanel Haute Couture automne-hiver 1987-1988 et baptisée L’Ile enchantée, d’après le nom de la première fête organisée par Louis XIV à Versailles. L’autre est une robe inspirée par Marie-Antoinette et créée par John Galliano pour la collection Dior Haute Couture automne-hiver 2000-2001 ; sur le podium, la mannequin la portait surmontée d’une perruque de plumes.
L’exposition, soutenue par Chargeurs Philanthropies, partenaire du Fashion Institute of Technology et mécène de l’évènement aux côtés du Couture Council du musée, a d’ailleurs été réalisée en collaboration avec Versailles. Le groupe Chargeurs, propriétaire du magazine France-Amérique, en a notamment conçu et fourni les décors, dont une spectaculaire reproduction des ors de la Galerie des Glaces du château.
L’hégémonie de la mode française s’explique aussi par la mise en place de l’univers de la haute couture. Le styliste parisien d’origine britannique Charles Frederick Worth, pionnier de cette industrie et père de la haute couture, a fondé la Chambre syndicale de la couture et de la confection pour dames et fillettes en 1868. Cette association représentait non seulement les couturiers, mais aussi les confectionneurs du prêt-à-porter et les tailleurs pour dames ; le fossé entre les grands couturiers et les autres allaient bien vite se creuser.
Comme l’explique Valerie Steele, « la haute couture se développe en même temps que l’industrialisation de la mode. D’autres nations, comme par exemple les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne, sont alors plus industrialisées que la France. La haute couture lui permet de se démarquer de la concurrence, en disant : ‘Ce ne sont que de vulgaires chiffons produits en série. Nous, nous faisons dans le grand art et le luxe.' » D’où l’adoption du terme « haute couture ».
En 1911, l’organisation professionnelle fondée par Worth devient la Chambre syndicale de la couture parisienne. Et si elle s’occupe de la formation des ouvriers, elle n’en oublie pas moins la promotion de la haute couture en France et à l’étranger. Et c’est aussi grâce à elle qu’un savoir-faire inestimable survivra aux deux guerres mondiales. La deuxième sera particulièrement périlleuse, à l’instar des négociations avec l’occupant allemand qui menace de délocaliser la haute couture parisienne vers Berlin et Vienne. Une fois le conflit terminé, la Chambre s’emploie à relancer une industrie durement touchée, en imaginant le Théâtre de la Mode, exposition itinérante de quelque 200 grandes poupées, toutes sur leur trente-et-un, et présentées dans des décors soignés.
En 1945, la Chambre dépose officiellement le terme « haute couture » et lui confère dès lors une existence légale, tout en lui assurant la postérité. « Une fois devenue une appellation d’origine contrôlée », écrit Sophie Kurkdjian dans le catalogue, « la haute couture parisienne a définitivement acquis son caractère unique et exclusif… Propre à la France, ce terme fait de Paris la capitale symbolique de la mode. » Si Colbert était encore des nôtres, il ne l’aurait sans doute pas formulé autrement.
Paris, Capital of Fashion
Du 6 septembre 2019 au 4 janvier 2020
The Museum at FIT, New York
Article publié dans le numéro de septembre 2019 de France-Amérique. S’abonner au magazine.