Exposition

Thierry Mugler, provocateur

Le designer et couturier français Thierry Mugler est décédé le 23 janvier à l'âge de 73 ans. La première grande rétrospective à lui être consacrée ouvrait en 2019 au Musée des beaux-arts de Montréal et s'invite jusqu'au mois d'avril au Musée des arts décoratifs à Paris.
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Thierry Mugler et Jerry Hall à Paris, en 1996. © The Helmut Newton Estate

« Le chic parisien revisité par la planète Krypton », c’est ainsi que Vogue a un jour décrit l’esthétique de Thierry Mugler. Thierry-Maxime Loriot, commissaire de la rétrospective Thierry Mugler : Couturissime, partage cette vision, qualifiant son style de « sorte de vision futuriste du New Look, avec une touche de rêve et de fétichisme ». Mugler a optimisé la silhouette en forme de sablier chère à Christian Dior et a essuyé les mêmes critiques féministes que son prédécesseur un demi-siècle auparavant. Comme les talons hauts, ses créations peuvent être vues à la fois sous l’angle de la contrainte et de la libération. Le couturier s’en explique : « Dans mon travail, j’ai toujours essayé de faire en sorte que les gens aient l’air plus forts qu’ils ne le sont en réalité, comme des superwomen ou des supermen. Mes clients m’ont souvent dit qu’ils se sentaient plus sûrs d’eux quand ils portaient mes créations. »

Aujourd’hui âgé de 70 ans, ce natif de Strasbourg a commencé sa carrière comme danseur classique, ce qui a influencé son approche du corps, et son sens du spectacle. A 20 ans, Thierry Mugler déménage à Paris, où il mène la vie bohème d’un styliste freelance. Sa première ligne de vêtements, en 1973, baptisée « Café de Paris », est déjà résolument « muglerienne » – ultra-féminine et structurée, loin du flower power ambiant. Sa collection compte des robes courtes en peau de chamois qui, à cette époque, n’était encore utilisée que pour nettoyer les verres de lunettes. L’actrice Lauren Bacall s’en procura une, devenant sa première cliente célèbre. L’utilisation de matières peu conventionnelles sera une constante dans son travail. Premier couturier à adopter la fausse fourrure de couleur, il poursuivra dans cette voie en utilisant dans ses créations du silicone, du latex, du plexiglas, du chrome et même du PVC.

En 1978, Mugler ouvre sa première boutique à Paris. La designer française Andrée Putman l’a tapissée de tuiles dorées, lui conférant un effet glamour certain. Cette même année, pour sa première campagne de publicité, Mugler s’offre les services du photographe Helmut Newton. Enervé par ses remarques incessantes, ce dernier suggéra à Mugler de faire lui-même le boulot. Les deux hommes collaboreront souvent au cours des décennies suivantes, mais Mugler suivit le conseil de Newton et étendit son champ d’activités à la photographie.

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Helmut Newton pour Thierry Mugler, Vêtue/Dévêtue, Vogue (Paris), 1996. © The Helmut Newton Estate

L’ère des vestes aux épaules extra-larges et des top models, dans les années 1980 et 1990, représente l’âge d’or de Thierry Mugler. La liste de ses clientes va d’Ivana Trump, qui achetait la même tenue dans une douzaine de teintes différentes, à David Bowie qu’il habilla pour ses clips et ses concerts, ainsi que pour son mariage avec la top model somalienne Iman. Avec un certain penchant pour les femmes dominatrices, ses créations puisaient leur inspiration dans les mondes de la bande dessinée et de la science-fiction, des robots et des voitures américaines vintage.

Mugler s’est fait un nom grâce à ses créations, mais aussi grâce à sa mise en scène. « J’ai toujours pensé que la mode ne se suffisait pas à elle-même, dit-il, et qu’elle devait être présentée en musique et théâtralisée. » Ses défilés étaient d’authentiques spectacles où l’on pouvait entendre aussi bien Beethoven que Kraftwerk. Naomi Campbell, Cindy Crawford et d’autres mannequins vedettes défilaient sur ses podiums, qu’elles partageaient avec des drag-queens et des stars.

En 1984, pour célébrer les dix ans de sa griffe, Mugler fit appel à une soixantaine de mannequins lors d’un spectacle grandiose au Zénith de Paris devant 6 000 personnes, dont 4000 avaient payé leur ticket d’entrée. Quelques années plus tard, il fit la satire du « paradis » (le podium) et de « l’enfer » (les coulisses) des défilés de mode dans le clip de « Too Funky » de George Michael, où apparaissent ses top models.

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Yasmin Le Bon sur scène au Palladium, Londres, 1997. © Alan Strutt
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Jerry Hall, collection Les Insectes, haute couture printemps-été 1997. © Dominique Issermann

En 1992, Mugler présente sa première collection haute couture et lance son premier parfum, Angel. Censé évoquer l’odeur de la barbe à papa, du chocolat et d’autres friandises de l’enfance, cette fragrance au succès planétaire contient de l’éthylmaltol, un arôme artificiel, dans un flacon en forme d’étoile.

En 1997, sa collection baptisée « Les Insectes » – tailles cintrées, tailleurs-corsets en cuir verni façon « fourmi » et, pour le final, un spectaculaire fourreau aux ailes de papillon en plumes – propulsa Mugler au sommet de la gloire et signa le renouveau de la haute couture parisienne. Pourtant, en 2002, le vent de la mode avait tourné. Mugler s’éloigna du train-train du monde de la mode, mais fidèle à son esprit d’homme de spectacle, il continua de collaborer avec des shows exceptionnels. Citons les tenues de scène de Beyoncé, ainsi que sa participation à la scénographie et à la création des costumes de Zumanity, le premier spectacle du Cirque du Soleil réservé aux adultes.

Danie Alexander, collection Jeu de Paume, haute couture printemps-été 1998. © David LaChapelle

Première rétrospective majeure de son œuvre, Thierry Mugler : Couturissime montre que Mugler est bien plus qu’un simple vestige de l’époque de la consommation tapageuse. Insistant sur sa créativité transdisciplinaire, son inventivité audacieuse et son influence durable, l’exposition rassemble plus de 140 tenues datant de 1973 à 2001, des accessoires, des vidéos et bien d’autres archives. Sans oublier les centaines de clichés de Richard Avedon, Guy Bourdin, Helmut Newton, Herb Ritts, entre autres photographes de talent. Cette exposition qui fait la part belle aux technologies de pointe, explore des thèmes tels que « Couture gynoïde » ou « Métamorphose ».

La dernière salle est sans doute la plus « muglerienne » de toutes, s’attachant à la fois au travail et à la vie privée du créateur. Aujourd’hui, il se fait appeler Manfred et a tellement changé physiquement – chirurgie esthétique et bodybuilding obligent – qu’on le reconnaît à peine. Comme il l’a déclaré au New York Times : « Je me suis servi de la mode pour m’exprimer autant que je le pouvais. Mais à un moment, cela ne m’a plus suffi. »


Thierry Mugler : Couturissime

Du 2 mars au 8 septembre 2019
Musée des beaux-arts de Montréal

Du 30 septembre 2021 au 24 avril 2022
Musée des arts décoratifs de Paris


Article publié dans le numéro de mars 2019 de France-Amérique. S’abonner au magazine.