Vêtue de noir et d’un blouson de type bomber bleu métallique brodé de fleurs et de sequins, Anne Fontaine s’exprime avec chaleur, dans un français relevé d’un discret d’accent brésilien. Dans cette pièce baignée de lumière où elle imagine ses prochaines silhouettes, de grosses boîtes en tissu blanc et noir regorgent d’échantillons de tulle, de dentelle, d’étoffes de lin, de jacquard, de tweed. Un buste mannequin Stockman fait face aux croquis de l’été 2020. « Nous sommes partis de rien », se souvient la créatrice de mode. « Avant, il y avait juste la famille d’Ari. »
Ari Zlotkin, son mari, dirige La Chemiserie Parisienne, la maison-mère d’Anne Fontaine, basée en France. Dans le textile depuis 1950, les unités de production de la famille Zlotkin fabriquaient des chemises pour homme pour les grands noms de la haute couture, puis pour la grande distribution. Bientôt délaissée pour les usines d’Europe de l’Est et de Chine, l’entreprise en difficulté voit ses commandes s’assécher et son avenir menacé. Mais au début des années 1990, l’idée d’Anne Fontaine, qui venait d’épouser Ari, bouleverse le destin de l’affaire familiale. Alors qu’elle découvre une malle pleine de chemises d’hommes dans le grenier de sa belle-mère, la jeune admiratrice d’Yves Saint Laurent qui confectionnait ses propres robes à dix ans, s’écrie : « Il faut qu’on fasse la chemise blanche pour femme ! Qu’elle devienne aussi importante que dans la garde-robe masculine. » La marque Anne Fontaine était née. Et la maison de confection en Normandie fut sauvée de la faillite.
Bousculée, coupée, réinventée, cette nouvelle pièce des placards féminins se veut aussi changeante que sa couleur est immuable. Tantôt en organza de soie ou de coton, en crêpe, en popeline, à poignets mousquetaires ou à manches longues et bouffantes, courtes et épaules nues, tantôt fluide ou sage, affublé d’un col lavallière, à jabot, d’un col asymétrique à volants, de dentelles, de corolles ou de broderies, le chemisier blanc se crée avec Anne Fontaine une nouvelle identité. « Les gens disaient : ‘Oh, ils vont disparaître d’ici deux ans…’ Eh bien, cela fait maintenant 26 ans que nous sommes là ! »

Après l’ouverture d’une première boutique à Paris, rue des Saints-Pères, une clientèle japonaise, puis surtout américaine, s’intéresse à la griffe. En 1996, Anne Fontaine ouvre à Boston. Puis c’est New York et vingt ans plus tard, une vingtaine d’enseignes nord-américaines, dont le magasin amiral sur Madison Avenue, à côté de Prada, Balenciaga et Carolina Herrera. Et depuis 2011, une fondation new-yorkaise à son nom pour aider à sauver les forêts en perdition et les espèces animales et végétales menacées de la mata atlântica, au Brésil. Marquée par son expérience dans la forêt amazonienne, où elle a vécu pendant près de six mois au sortir de l’adolescence, la jeune femme qui s’était rêvée un jour biologiste instaure un « jour de la forêt ».
Outre des projets éducatifs pour sensibiliser les jeunes élèves d’écoles américaines et brésiliennes aux questions environnementales, des initiatives pour impliquer les communautés locales avec la fabrication d’éco-sacs et de foulards créés pour l’association par des tribus d’Amazonie, la Fondation Anne Fontaine dit avoir permis la plantation de 45 000 arbres dans la région depuis sa création. Du côté de la marque, certains produits sont faits avec des tissus bio, par « petites touches », et la créatrice exige de bonnes conditions de travail chez ses fournisseurs, mais elle se montre frustrée par le manque d’options plus vertes encore dans une industrie textile nécessitant un « vrai changement ».
« Les Américaines adorent le made in France », assure Anne Fontaine. Une certaine idée du chic, selon elle, véhiculée par la sobriété et l’élégance d’une chemise blanche portée par une tradition forte. « Pendant longtemps, c’était un attribut social », de la fraise Renaissance au col blanc des Lumières. « A Hollywood, les stars s’en sont emparées en pleine guerre des sexes pour être à la hauteur des hommes. Greta Garbo avec sa cigarette et ses jabots, puis Marilyn Monroe, plus glamour, et Audrey Hepburn, faussement sage avec ses cols Claudine. »
La marque a peu à peu diversifié son offre, pour accessoiriser la chemise – avec boutons de manchette, ceintures, sautoirs et cols bijoux – et pour enrichir ses collections d’une nouvelle palette de couleurs, de nouvelles pièces – pantalons, vestes, sacs ou chaussures, et deux nouvelles lignes : Précieuse et Casual. Mais, la créatrice en est consciente : « Quand vous demandez à quelqu’un, c’est quoi Anne Fontaine ? La chemise blanche ! On explique que l’on ne fait pas que ça… Mais c’est aussi ce qui nous a permis d’être là aujourd’hui. »
Article publié dans le numéro d’avril 2019 de France-Amérique. S’abonner au magazine.