Chaque année pendant la Fashion Week, s’émerveille Carrie Bradshaw, « les New-Yorkaises font table rase du passé et se tournent vers l’avenir ». L’héroïne de Sex and the City ne croit pas si bien dire : en 1943, lors de la première édition du célèbre défilé, il s’agissait justement de s’affranchir de la mode française pour faire place aux créateurs américains.
Au début du XXe siècle, Paris est l’épicentre de la mode. Lieu de naissance du défilé et de la haute couture, la capitale française dicte les tendances, que l’industrie américaine du vêtement se contente d’appliquer dans ses ateliers. « Nous étions alors une nation de copieurs », souligne Tim Gunn, spécialiste de la mode et animateur de l’émission Projet haute couture. Mais en 1940, la Seconde Guerre mondiale et l’occupation de la Ville Lumière par le Troisième Reich vont changer la donne.
Dans l’incapacité de traverser l’Atlantique pour reproduire les dernières créations parisiennes, les couturiers américains ont le champ libre. Et font feu de tout bois. La guerre crée une pénurie de matériaux ? Ils raccourcissent les longueurs. Les femmes investissent le marché du travail ? Ils simplifient les coupes. Peu à peu, des noms comme Claire McCardell et Hattie Carnegie remplacent ceux de Chanel et Patou dans les rayons des grands magasins.
Il s’agit maintenant de créer de la demande. Ce sera la mission du New York Dress Institute, fondé en 1941. L’enjeu est de taille : imposer les créateurs américains dans la presse, qui se soucie encore trop peu du monde de la mode, et encore moins de la création nationale. Pour convaincre les médias, qui devront à leur tour persuader les acheteuses, la publiciste de mode Eleanor Lambert – la première en son genre – a une idée de génie : un défilé centralisé, réservé aux rédacteurs de mode. Ce sera la Press Week, ancêtre de la Fashion Week.
Eleanor Lambert, que l’on surnommera plus tard « la marraine de la mode », contacte toutes les publications du pays pour faire venir à New York leurs journalistes, aux frais du Dress Institute. Nombre de ces journaux et magazines n’ayant pas de journalistes de mode, elle les convainc d’envoyer leurs rédactrices, souvent cantonnées aux sujets cuisine et maison. Le maire de New York, Fiorello La Guardia, se réjouit de cette initiative qui vient égayer les temps de guerre : « New York se bat pour maintenir en vie les beaux et splendides aspects du quotidien. »
Début janvier 1943, 53 journalistes venus des quatre coins de l’Amérique investissent les salles de bal néo-rococo du Plaza Hotel et les salons Art déco du Pierre. En exclusivité et avec six mois d’avance, ils découvrent l’inventivité des couturiers américains, enfin libérés de l’influence parisienne. Les lignes sont modernes, les styles épurés. Les collections de prêt-à-porter font fureur, avec leurs vestes en jersey, combinaisons à poches et autres robes portefeuille.
La presse est séduite. La création américaine est enfin mise en avant et prise au sérieux. Alors jeune journaliste, la future rédactrice de Vogue et Harper’s Bazaar Polly Mellen se souvient : « C’était une toute autre façon de s’habiller. Moins chic. Moins coincée. Beaucoup plus enthousiasmante pour les jeunes ! » Elle y voit aussi le début d’une nouvelle réciprocité entre les continents : « L’Europe a commencé à se tourner vers nous, le marché américain de la mode. » En 1973, Paris transformera l’essai new-yorkais en véritable semaine de la mode et les autres capitales suivront le mouvement : Milan, Londres… et New York !
Article publié dans le numéro de septembre 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.