The Wordsmith

Anthropocène, anthropause et Pyrocène

Confinement oblige, la nature a connu un peu de répit avec la pandémie de Covid-19. Avant que la marche destructrice des activités humaines ne reprenne de plus belle.
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© Sylvie Serprix

« A quelque chose malheur est bon.» On ne peut s’empêcher de penser à ce proverbe en découvrant l’une des conséquences heureuses – oui, il y en a – de la pandémie de Covid-19. Confinement oblige, la nature a connu un répit inespéré grâce au ralentissement des activités humaines. Ainsi, la baisse du trafic routier a-t-elle fait diminuer la pollution de l’air ; de même les nuisances sonores ont-elles été réduites.

Pour décrire ce phénomène, les scientifiques ont imaginé le mot «anthropause ». Combinant le préfixe « anthropo », du grec anthropos, homme, et le mot « pause », commun à l’anglais et au français, ce néologisme signifie donc « pause humaine ». Il n’est pas sans rappeler l’« andropause», la baisse de la testostérone liée au vieillissement de l’homme, l’équivalent de la ménopause, l’arrêt du cycle ovarien chez les femmes.

Pendant ladite anthropause, la nature a parfois repris ses droits, en particulier dans les environnements urbains. Certaines espèces animales sauvages comme les canards, les renards ou les sangliers ont déambulé dans les villes françaises. D’autres, en revanche, tels les rats ou les mouettes, sont tellement dépendantes de la nourriture abandonnée ou fournie par les hommes qu’elles ont pâti de cette situation inédite.

Car, de toute façon, les hommes contrôlent tout et ont toujours le dernier mot depuis les débuts de l’Anthropocène, « l’ère de l’humain». Ainsi nomme-t-on cette époque géologique qui a commencé lorsque l’influence de l’espèce humaine sur les écosystèmes est devenue déterminante à l’échelle de l’histoire de la Terre. Imaginé en 1922 par le géologue russe Alexeï Petrovitch Pavlov, popularisé ensuite par le Néerlandais Paul Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995, ce concept a été adopté par une bonne part de la communauté scientifique.

Plusieurs questions restent néanmoins en suspens et surtout celle-ci : quand situer le début de cette époque ? Pour beaucoup, le point de départ serait l’invention de l’agriculture, il y a quelque 8 000 ans. Selon le paléoclimatologue américain William F. Ruddiman, l’Anthropocène remonterait à 5 000 ans avant J.-C., au moment où l’on observe une augmentation des teneurs en méthane avec le développement de la culture du riz, la domestication animale et le défrichement des forêts.

Certains retiennent comme point de rupture avec l’époque précédente la « découverte » de l’Amérique, en 1492, quand d’autres optent pour la révolution industrielle du XVIIIe siècle. Puisque l’on est dans le domaine de la géologie, la création d’un nouvel intervalle dans l’échelle des temps géologiques doit correspondre à un événement majeur enregistré dans les sédiments. C’est le cas avec les cendres, résidus de la combustion du carbone fossile fixés dans les glaces, qui sont autant d’indices des effets de l’industrialisation amorcée en Europe à la fin du XVIIIe siècle.

Au lieu d’Anthropocène, des historiens engagés à gauche proposent pour leur part le terme Capitalocène, afin de souligner que la responsabilité de ces bouleversements écologiques incombe au seul capitalisme.

En attendant, l’andropause liée au Covid aura été de courte durée. Avec le retour à la normale, c’est-à-dire le redémarrage de la croissance économique, la frénésie destructrice des hommes a repris de plus belle. Plus que jamais, l’agriculture industrielle, la pêche en haute mer et l’exploitation forestière s’apparentent à du pillage à grande échelle. On ne voit pas la consommation d’énergies fossiles baisser de façon significative. Comme si le combat contre le dérèglement climatique n’était plus une priorité. Et ce, alors que l’été 2022 aura été marqué par des pics de chaleur inédits, avec leur cohorte d’incendies dévastateurs, en France et aux Etats-Unis notamment.

Pour Stephen J. Pyne, professeur émérite à l’université d’État de l’Arizona, le réchauffement climatique marque notre entrée dans le Pyrocène, c’est-à-dire l’âge du feu, un temps où les incendies vont remodeler la planète un peu comme la glace l’a fait il y a plusieurs dizaines de milliers d’années, vers la fin du Pléistocène. Saurons-nous faire face à un tel défi ? Souvenons-nous de la phrase prophétique du président Jacques Chirac au quatrième sommet de la Terre, en 2002 à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. »


Article publié dans le numéro d’octobre 2022 de France-AmériqueS’abonner au magazine.