Il est un terme dont les lecteurs de journaux français tels que Le Monde diplomatique et Courrier international sont familiers : états-unien. Pour certains esprits à gauche, en effet, qualifier d’Américains les ressortissants des Etats-Unis est insupportable. N’est-ce pas le symbole de la volonté hégémonique d’un pays et de sa prétention à incarner à lui seul tout un continent ? Un peu comme si on disait « les Européens », soit les habitants de l’Europe, pour parler des Français (ou des Allemands, ou des Italiens). Comme si les termes Chinois et Asiatiques étaient pris pour synonymes.
Pour situer le débat, il faut remonter à 1776, lorsque treize colonies britanniques s’unissent pour former les Etats-Unis d’Amérique. Très rapidement, les citoyens de la nouvelle entité prennent l’habitude d’abréger ce nom. Ils parlent d’United States ou d’America. D’où le gentilé American (Américain en français). L’appropriation par une seule nation d’une dénomination qui devrait revenir aux habitants d’une quarantaine de pays et territoires est forcément source de confusions. On est parfois obligé de recourir à l’adjectif « panaméricain » lorsqu’on fait référence à l’ensemble du continent.
D’où l’émergence du mot états-unien. Comme c’est souvent le cas avec les néologismes, il est difficile de situer sa naissance. On en trouve mention dans des écrits français du début du XXe siècle. Mais c’est au Canada – il est facile de comprendre pourquoi – qu’il connaît le plus de succès, et ce dès le milieu des années 1930. Entre 1934 et 1945, il revient régulièrement dans la revue québécoise L’Action nationale. Passé de mode dans les années d’après-guerre, où, pourtant, l’antiaméricanisme est au cœur du corpus idéologique de l’extrême gauche française, le mot états-unien retrouve une nouvelle vigueur depuis l’an 2000, les interventions de l’U.S. Army au Moyen-Orient suscitant un regain d’hostilité à l’égard des Etats-Unis. Au Québec, le quotidien Le Devoir, ardent défenseur de la francophonie, n’hésite pas à en faire usage. Ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que le mot Amérique – et pour cause – n’est jamais utilisé dans la Belle Province pour désigner les Etats-Unis. Pour faire court, on dit même parfois « les Etats » !
Tout compte fait, états-unien n’a rien de péjoratif ou de désobligeant, à la différence d’autres surnoms traditionnels comme Yankee et Gringo, voire Ricain ou Amerloque, autrefois prisés par les détracteurs français du pays de l’Oncle Sam. On notera que les Sud-Américains, particulièrement sensibles au sujet, utilisent parfois les gentilés estadounidense et norteamericano. Ce dernier, à l’évidence, ne résout pas l’ambiguïté sémantique, puisque les Canadiens et les Mexicains sont eux aussi des Nord-Américains.
Question accessoire : comment écrire le gentilé alternatif ? Etats-Unien, étatsunien ou étasunien? D’aucuns ont même suggéré étazunien. Pour ce qui est des dictionnaires, le mot a fait sa première apparition dans le Grand Larousse encyclopédique de 1961 sous la forme « étatsunien ». Il est mentionné aujourd’hui dans la plupart des dictionnaires usuels. Dans le Petit Robert de 2022, on le trouve à l’entrée « Etats-unien, ienne ou étatsunien, ienne ». Quelle que soit la graphie retenue, le mot Etats-Uniens ne sied pas à tout le monde. Comme tout néologisme, il heurte les oreilles conservatrices. Certains le réprouvent en raison de son relent anti-américain. D’autres le trouvent prétentieux.
Sur leur passionnant blog Langue sauce piquante, Martine Rousseau et Olivier Houdart, correcteurs du Monde, quotidien pour lequel la qualité du français reste un marqueur, livrent leur sentiment : « Américain a pour lui la légitimité historique. Etats-Unien, son challenger, est assez pertinent et comble en partie un manque lexical. » Ce jugement mi-chèvre mi-chou semble frappé au coin du bon sens.
Article publié dans le numéro de novembre 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.