The Wordsmith

Fini la « France moche » !

Qui n’a relevé, à l’entrée des villes françaises, ces alignements de locaux commerciaux sans charme encadrés de panneaux publicitaires géants, le tout formant des paysages particulièrement laids ? Le gouvernement entend réaménager – et embellir – ces zones périurbaines.
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© Sylvie Serprix/France-Amérique

Tout est parti d’un communiqué du gouvernement annonçant, le 11 septembre 2023, un programme national de transformation des zones commerciales. Très souvent situées à la périphérie des villes, ces zones, qui constituent les principaux pôles de consommation des Français – mais la remarque pourrait s’appliquer à d’autres pays voisins –, se distinguent par leur médiocrité architecturale et esthétique.

Prudence politique oblige, le gouvernement a recouru à l’adjectif « disgracieuses ». Plutôt que de tourner autour du pot, de nombreux commentateurs ont parlé de la « France moche ». Un qualificatif familier qui dit bien ce qu’il veut dire. Synonyme de laid, ce mot qui vient du francique mokka (« masse informe ») est aussi employé pour désigner un objet de mauvaise qualité ou une action moralement répréhensible. « C’est moche », entend-on souvent dire à l’énoncé d’un événement regrettable.

L’expression « France moche » n’a toutefois rien de nouveau. Dans un article publié par Télérama en février 2010, les journalistes Vincent Remy et Xavier de Jarcy l’utilisaient pour pointer l’étalement urbain amorcé lors des Trente Glorieuses, ces trois décennies entre 1945 et 1975 qui ont vu la France se moderniser, d’aucuns diraient s’américaniser, avant de prendre une ampleur démesurée à partir des années 1980. C’est ainsi que d’un bout à l’autre du pays, les entrées des villes ont vu proliférer ces métastases périurbaines faites de successions de rocades et de ronds-points bordés de panneaux publicitaires géants et conduisant à des batteries de parallélépipèdes en tôle ondulée. Très peu d’arbres et de verdure ; du bitume, partout.

On compte aujourd’hui plus de 1 500 de ces zones d’activités commerciales (ZAC) à travers le territoire français. L’ensemble couvre 500 millions de mètres carrés, soit cinq fois la superficie de Paris ! Regroupant hypermarchés (Leclerc, Carrefour…), grandes surfaces spécialisées (Decathlon, Boulanger, Leroy Merlin…), concessions automobiles, McDonald’s et autres établissements de restauration rapide, ces ZAC constituent l’environnement familier d’une grande partie des Français, parmi les plus défavorisés en général, ceux-là mêmes qui vivent dans les grands ensembles ou les quartiers pavillonnaires voisins. C’est dans ces zones, autour des ronds-points et sur les parkings des supermarchés, qu’est né et a prospéré le mouvement des Gilets jaunes en 2018-2019.

Paysages de France, une association tout ce qu’il y a de plus sérieux, décerne chaque année ses « prix de la France moche ». En 2023, quatre villes ont été distinguées, si l’on ose dire. Aux entrées de Chavelot (Vosges), de Carnac (Morbihan) et de Honfleur (Calvados), les forêts de panneaux et de drapeaux sont particulièrement impressionnantes ou, plutôt, affligeantes. Mais, ô surprise, la quatrième ville n’est autre que Paris, dans la catégorie ironique « Mise en valeur du patrimoine ». Le site concerné ? La prestigieuse place des Vosges, où des travaux de restauration d’immeubles historiques ont servi de prétexte à l’installation de gigantesques bâches publicitaires pour Longchamp, Apple ou CBS.

Ainsi, donc, le gouvernement français entend-il en finir avec les alignements de « boîtes à chaussures » à l’entrée des villes. Son projet consiste à favoriser une nouvelle forme de mixité urbaine dans des zones actuellement totalement dévolues au commerce et inaccessibles autrement qu’en voiture. Des logements seraient construits au-dessus des locaux commerciaux. On implanterait des espaces culturels et sportifs ainsi que d’autres équipements et services publics. La végétalisation des parkings achèverait la transformation de ces espaces, aujourd’hui sans âme, en véritables lieux de vie. Des lieux également plus agréables à regarder.

A l’heure où la préservation de l’environnement prend des dimensions insoupçonnées, toutes les pollutions sont à combattre. Y compris la pollution visuelle. Reste un hic quand même. L’essor des périphéries marchandes a vidé les centres urbains de leurs activités commerciales traditionnelles. Après des décennies d’efforts pour revitaliser les cœurs des villes, il serait paradoxal de donner une nouvelle impulsion aux grandes surfaces. Comme on disait autrefois, il est difficile de courir deux lièvres à la fois.


Article publié dans le numéro de mars 2024 de France-Amérique.