The Wordsmith

Carabistouilles, galimatias et autres macroneries

Bien que pratiquant un français châtié, le président Emmanuel Macron se laisse parfois aller à quelques fantaisies sémantiques.
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© Sylvie Serprix

« Les non-vaccinés ? J’ai très envie de les emmerder. » Cette petite phrase prononcée par Emmanuel Macron en janvier 2022 n’a pas plu à tout le monde. Tant s’en faut. Sur la forme comme sur le fond, la diatribe a heurté beaucoup de Français. Ce n’était pas la première fois que le président tenait de tels propos « cash ». En déplacement en Corrèze en octobre 2017, chahuté par des salariés d’un équipementier automobile, il avait fustigé ceux qui « foutent le bordel ». L’année suivante, en juin 2018, il évoquait le « pognon de dingue » englouti, selon lui, dans le financement des minimas sociaux.

Le vingt-cinquième président français – le premier ayant été Louis-Napoléon Bonaparte, élu en décembre 1848 – est trop cultivé et trop raffiné pour se laisser aller spontanément à de tels écarts langagiers. Si dérapages il y a, ils sont contrôlés. Pour se départir d’une image élitiste, Emmanuel Macron opte de temps à autre pour un langage moins aseptisé que celui de ses interventions officielles. On l’a entendu parler de « restau », de « ciné » et utiliser l’expression « prendre un canon au bar ». Parmi les autres sorties ayant marqué les esprits, les journalistes ont retenu « je vous fiche mon billet », « il ne faut pas raconter des craques » et « ça, c’est de la pipe ».

Quand il le faut, Emmanuel Macron n’hésite pas non plus à rechercher des mots rares. Comme « ipséité », pour désigner l’identité française, lors d’un entretien à France Culture en mars 2017, ou ce « rémanence », synonyme de persistance d’un phénomène après disparition de sa cause, relevé dans son discours à la communauté française de New York en septembre 2017. La même année, il a fait appel à la locution adverbiale in petto, empruntée à l’italien et signifiant « dans le for intérieur ».

Dans d’autres cas, on ne sait pas si le président a choisi à dessein un mot qui sort de l’ordinaire. Par exemple quand il dit, à Francfort en octobre 2017 : « Ne faisons pas croire que l’Etat est totipotent. » A-t-il volontairement emprunté ce terme au lexique de la biologie, où il désigne la capacité d’une cellule à se différencier en n’importe quelle cellule ? Ne voulait-il pas dire plutôt « omnipotent » ? De même, qu’entend exactement le président lorsqu’il confie, en avril 2022, que ses succès économiques ne « percolent » pas dans l’esprit des Français ?

Il arrive que le successeur de François Hollande agrémente son discours de termes tombés en désuétude. Personne n’a oublié la « poudre de perlimpinpin » et le « galimatias » lancés à la face de Marine Le Pen en mai 2017. On l’a entendu par la suite, en octobre 2017, lâcher un inattendu « croquignolesque », adjectif formé à partir de Croquignol, personnage des Pieds nickelés, la bande dessinée créée par Louis Forton au début du XXe siècle. Rebelote en avril 2022, lorsque, en campagne électorale à Mulhouse, il dénonce les « carabistouilles » de Marine Le Pen sur l’Europe.

Lors du second débat d’Emmanuel Macron avec la même Marine Le Pen, le 20 avril 2022, quelques formulations de cet acabit ont marqué l’intervention du président en titre. Ainsi a-t-il utilisé le verbe « ripoliner », tiré de Ripolin, une marque de peinture laquée très résistante, avec le sens de dissimuler sous une apparence brillante une réalité peu reluisante. A son adversaire du jour, il a reproché son « outrecuidance », c’est-à-dire la confiance excessive en soi et, par extension, une parole désinvolte qui traduit cette attitude. « Je pourrais faire une liste par prétérition », a-t-il aussi déclaré, tirant de l’oubli une figure de style qui consiste à dire qu’on ne va pas parler d’une chose dont on est précisément en train de parler.

Au cours de ce même débat entre les deux prétendants à la magistrature suprême, un mot étranger a surgi dans la bouche d’Emmanuel Macron : finito. Il signifie « fini » en italien et on l’utilise dans l’univers juridico-financier pour exprimer l’arrêté ou l’état final d’un compte. Dans le parler courant, on l’emploie pour conclure un propos.

On ne saurait passer sous silence les formules qui, au fil des années, ont façonné l’image d’Emmanuel Macron. A commencer par le désormais fameux « en même temps », qui, à force d’être répété, s’apparente autant à un tic de langage qu’à une profession de foi. Crise sanitaire oblige, « quoi qu’il en coûte » est devenu en mars 2020 un nouveau mantra macronien. Puis, avec la guerre en Ukraine et ses implications sur le coût de la vie, est apparue la notion de « bouclier tarifaire ».

Au-delà de ces fantaisies sémantiques, une chose est sûre : Emmanuel Macron est, de tous les présidents de la Ve République, celui qui, avec le normalien et agrégé de lettres Georges Pompidou, a le vocabulaire le plus riche. Ce n’est pas nous qui l’avançons, mais des sémiologues, qui, passant au crible de l’intelligence artificielle les discours des uns et des autres, l’ont établi.

 

Article publié dans le numéro de juillet 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.