En 1915, Bessie Coleman quitte la petite ville d’Atlanta, au Texas, et les champs de coton où travaillent ses parents pour devenir manucure à Chicago. Chaque mois, elle met de côté une partie de son salaire pour, un jour, réaliser son rêve : devenir aviatrice. En 1919, aucune école aux Etats-Unis n’accepte d’élève noir. Elle a entendu parler de l’école d’aviation du Crotoy en France, alors chaque soir, après sa journée au salon de beauté, elle prend des cours de français. Cette année-là, à Chicago, des émeutes raciales font 38 morts et des centaines de blessés. Bessie Coleman embarque pour l’autre côté de l’Atlantique, ses maigres économies en poche.
Elle débarque au Crotoy, petite ville de pêcheurs dans la baie de Somme. Les habitants ont la vision exotique des Noirs des images d’Epinal : femmes-girafes et autres négresses à plateaux. Ils se souviennent du « village nègre », clou de l’Exposition internationale d’Amiens en 1906. La présence de cette belle jeune femme noire ne manque pas de susciter des regards appuyés, curieux, mais jamais hostiles. L’Américaine s’éprend des couleurs de la Manche, du patois et de la gastronomie locale. Elle y est amoureuse, heureuse, même si le soda et le charleston lui manquent.
Un message d’émancipation et de liberté
Bessie Coleman est la seule femme de sa promotion de douze élèves, la seule Noire, mais aussi la meilleure et la plus appliquée. Elle obtient son brevet de la Fédération aéronautique internationale en sept mois. Un record. Elle a appris à piloter sur une version civile du Nieuport 82.E2. Surnommé « la Grosse Julie », son avion est reconnaissable à ses ailes noires. Atterrissage, mécanique, vol de nuit, lorsqu’elle retournera aux Etats-Unis, elle n’aura plus rien à prouver. Elle pourra enfin envoyer des messages d’émancipation et de liberté, « donner un peu de couleur au ciel ».
En septembre 1921, elle est accueillie triomphalement par les journalistes à New York. La presse la surnomme bientôt Queen Bess et la jeune pilote va continuer d’écrire sa légende. Elle veut ouvrir des écoles d’aviation pour tous et pour les financer, elle multiplie les meetings aériens et les acrobaties en vol. Elle exige des organisateurs que les publics noirs et blancs soient mélangés dans les tribunes, mais obtient rarement gain de cause. Elle n’aura pas le temps de voir les fruits de son combat. Le 30 avril 1926, lors d’un vol de repérage à Jacksonville, en Floride, son moteur s’emballe, son avion se retourne. Bessie Coleman, 34 ans, est précipitée dans le vide et tuée sur le coup.
En 1929, la première école de pilotage pour Afro-Américains ouvre ses portes à Los Angeles, comme le souhaitait l’aviatrice. Depuis, des avenues, des aéroports, des écoles et des bibliothèques ont été rebaptisés en son honneur aux Etats-Unis et en France. On retrouve notamment une rue Bessie Coleman à Paris, à Nice et à Poitiers. Un film sur la vie de l’aviatrice, Flying Free with Bessie Coleman, était en cours de production en 2017 : l’Américain Philipp Hart, auteur de plusieurs ouvrages sur les pionniers afro-américains de l’aviation, est à l’origine du projet avec sa femme, l’animatrice et productrice Tanya Hart. Un autre film sur Bessie Coleman, réalisé par le documentariste Gardner Doolittle, a vu le jour en 2018. Son titre ? The Legend.
Article initiallement publié dans le numéro de juin 2011 de France-Amérique. S’abonner au magazine.