La nouvelle tour de Jean Nouvel à New York aurait dû être aussi haute que l’Empire State Building. Mais la proximité de Central Park, sur lequel l’immeuble aurait projeté son ombre, a contraint l’architecte français à limiter son projet à 320 mètres. Pas de quoi rougir. Sa tour est quand même la sixième construction la plus haute de la ville. Le bâtiment, officiellement baptisé « 53W53 » mais surnommé « MoMA Tower » parce qu’il jouxte le musée d’art moderne, comporte trois niveaux de galeries d’art et a été inauguré à l’automne 2019.
Commandée par un promoteur texan, cette flèche de verre, de béton et d’acier est le sixième projet américain de Jean Nouvel. L’architecte avait déjà dessiné un théâtre pour la ville de Minneapolis en 2006 puis un immeuble d’habitation dans le quartier de SoHo en 2007 avant que le Prix Pritzker, considéré comme le Nobel de l’architecture, ne lance véritablement sa carrière outre-Atlantique. Il a terminé en 2021 le chantier d’une résidence de luxe sur pilotis à Miami.
Jean Nouvel n’est pas le seul architecte français ayant fait ses preuves aux Etats-Unis. Citons également Christian de Portzamparc, le seul autre architecte français lauréat du Prix Pritzker, mais aussi Bernard Tschumi, Dominique Perrault, Jean-Paul Viguier, Jean-Michel Wilmotte, Anne Fougeron, Olivier Touraine, Françoise Raynaud ou encore François Leininger. « Les Français font partie de cet ensemble d’architectes européens et japonais qui construisent dans toutes les grandes villes américaines », observe Jean-Louis Cohen, professeur d’histoire de l’architecture à New York University [décédé le 7 août dernier]. « La production architecturale américaine est en train de s’ouvrir au monde entier. »
Le phénomène est récent. Le célèbre architecte franco-suisse Le Corbusier a réalisé un bâtiment à Harvard en 1963, le Carpenter Center for the Visual Arts, mais ses autres projets aux Etats-Unis n’ont pas abouti. Idem pour le Brésilien Oscar Niemeyer. Depuis une vingtaine d’années, cependant, estime Jean-Louis Cohen, le travail novateur des cabinets européens inspire les patrons d’entreprises et les responsables des musées américains. « Comme ils achètent les meilleures œuvres d’art, ils recrutent les meilleurs architectes. »
Christian de Portzamparc
Christian de Portzamparc a été recruté en 1994 par le groupe français LVMH pour dessiner son siège new-yorkais sur la 57e Rue Est. Le risque était de créer une copie du bâtiment voisin, le siège de Chanel. Il s’est alors démarqué en concevant une façade de verre brisée à la manière d’une pierre précieuse – ce que l’historien de l’architecture Jean-Louis Cohen appelle « une nouvelle géométrie cristalline ». Christian de Portzamparc a de nouveau fait parler de lui avec la tour One57, inaugurée à New York en 2014 : à 306 mètres de haut, elle a lancé la mode des pencil towers, ces gratte-ciel très hauts et très fins.
Jean Nouvel
Célèbre pour ses travaux en Europe, Jean Nouvel a bénéficié de la politique constructiviste de l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg, pour s’implanter aux Etats-Unis : un bonus de hauteur accordé aux promoteurs faisant appel à des architectes reconnus. Mais son plus beau projet américain, selon Jean-Louis Cohen, est de taille modeste : 50 mètres de haut. « Le Guthrie Theater de Minneapolis s’intègre très bien sur les rives du Mississippi », explique-t-il. « L’écriture de Jean Nouvel est extrêmement diverse, mais ses bâtiments ont en commun d’être réactifs à ce qui les entourent et de souligner leur environnement. »
Bernard Tschumi
Français par sa mère et suisse par son père, Bernard Tschumi a remporté en 1983 le concours international pour la création du parc de la Villette à Paris. Le projet lancera sa carrière. Il sera doyen de l’école d’architecture à l’université de Columbia de 1988 à 2003 et réalisera trois projets aux Etats-Unis : le bâtiment de l’école d’architecture à la Florida International University à Miami, le stade de l’université de Cincinnati dans l’Ohio, ainsi qu’une tour de seize étages dans le Lower East Side de Manhattan, son premier gratte-ciel.
Dominique Perrault
Une technologie millénaire a lancé la carrière de Dominique Perrault : le tissage. La bibliothèque François-Mitterrand, inaugurée en 1996 dans le 13e arrondissement de Paris, est le premier exemple d’utilisation à grande échelle de la maille en acier inoxydable comme élément de construction et de décoration intérieure. Dominique Perrault en fera sa spécialité. Signe de sa relation avec son fournisseur de mailles métalliques tissées, l’Allemand GKD, il concevra le siège social et le site de production de leur filiale américaine.
Jean-Paul Viguier
Jusqu’aux années 1920-1930, 20 % des élèves de l’Ecole des beaux-arts étaient américains et construisaient aux Etats-Unis des bâtiments d’inspiration classique, comme la gare de Grand Central à New York et la Boston Public Library. « Jean-Paul Viguier représente une inversion de ce phénomène », explique Jean-Louis Cohen. « Il a appris à construire des gratte-ciel à Harvard et a ensuite utilisé son savoir-faire en France. » Il a notamment bâti le siège des groupes Alstom, Esso et France Télévisions en région parisienne, avant d’être recruté par Sofitel pour concevoir un hôtel à Chicago. Une tour en forme de prisme applaudie par l’Institut américain des architectes.
Anne Fougeron
Formée à Wellesley College dans le Massachusetts et à Berkeley, Anne Fougeron a créé son propre cabinet à San Francisco en 1985. Sa marque de fabrique : « le verre, le minimalisme, la lumière naturelle et l’acier inoxydable ». Après avoir réalisé plusieurs maisons, une bibliothèque publique, un centre culturel et quatre cliniques du Planned Parenthood dans la région de San Francisco, son cabinet a récemment terminé dans le nouveau quartier de Transbay deux immeubles qui forment la base d’un gratte-ciel dessiné par le célèbre architecte néerlandais Rem Koolhaas.
Jean-Michel Wilmotte
Il a décoré les appartements privés de François Mitterrand à l’Elysée avant de faire pousser des bulbes d’or sur les quais de Seine et de transformer en incubateur de start-up un dépôt ferroviaire des années 1920. Après le chantier de la cathédrale russe orthodoxe et celui de la Station F, Jean-Michel Wilmotte a inauguré en 2019 une résidence de 33 étages au cœur de Dallas. Son premier projet outre-Atlantique. Avec 158 appartements de luxe, deux piscines de 25 mètres, un spa et une terrasse panoramique, la tour est surnommée « le palais dans le ciel ».
Françoise Raynaud
Elle est la première Française à dessiner et construire une tour à New York : sa résidence de 27 étages a été inaugurée à la fin de 2020 dans le quartier de Hudson Square, au sud-ouest de Manhattan. Ancienne collaboratrice de Jean Nouvel, Françoise Raynaud a créé sa propre agence, Loci Anima (« l’âme des lieux » en latin) en 2005. Elle défend l’idée de « bâtiments conçus comme des êtres vivants », durables et sensibles à leur environnement. La tour Greenwich West est construite en briques d’argile réfléchissant la lumière et intègre un mur végétalisé réalisé par le botaniste français Patrick Blanc.
Francois Leininger
Ancien employé de Jean Nouvel, l’architecte de 46 ans a participé au chantier de la tour 53W53 à New York et du Guggenheim Museum de Rio de Janeiro avant de fonder son propre cabinet, Post-Office Architectes, avec David Fagart et Line Fontana. Leur premier projet aux Etats-Unis a été inauguré en 2020 dans le quartier de Tribeca, à New York. Plutôt que de concevoir « une autre boîte en verre » ils ont imaginé un immeuble dont la façade est couverte de panneaux de béton moulés sur du carton ondulé. Le résultat s’intègre élégamment dans l’architecture du quartier.
Olivier Touraine
Après avoir travaillé au Japon avec l’architecte italien Renzo Piano, à Lille avec le Néerlandais Rem Koolhaas et à Paris avec Jean Nouvel, Olivier Touraine s’est installé à Los Angeles en 1999. Il a depuis réalisé nombre de projets dont une villa à Hollywood pour le cinéaste Wim Wenders et l’office du tourisme de Silverwood Lake, dans les montagnes au-dessus de San Bernardino. « Tous les architectes français aux Etats-Unis ne construisent pas des gratte-ciel », explique Jean-Louis Cohen. « Nombreux sont ceux qui participent à des concours, construisent de petits projets et de fil en aiguille réalisent des choses plus grandes. »
Article publié dans le numéro d’août 2019 de France-Amérique. S’abonner au magazine.