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Constance Debré : mère et cowboy solitaire

Dans Love Me Tender, publié aux Etats-Unis l’an dernier alors qu’elle était en résidence à New York avec la Villa Albertine, l’avocate devenue écrivaine raconte comment elle a perdu la garde de son fils de onze ans en vivant son homosexualité. Un roman autobiographique à l’os.
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© Laura Stevens

En quelques années, Constance Debré a changé de peau. Radicalement et sans retour possible. Avec ses cheveux ras, son corps tatoué affûté par les longueurs quotidiennes à la piscine, elle arbore crânement son homosexualité et son identité d’écrivaine. Pour vivre en cohérence avec elle-même, elle a tout quitté, son métier d’avocate et son mari depuis vingt ans, le père de son fils. Passant d’un grand appartement du sixième arrondissement de Paris à un petit deux-pièces puis à une chambre de bonne, elle a choisi de mener une vie ascétique, acceptant le dénuement comme le prix de sa liberté. « A part mon fils que je ne vois plus tout va bien, il a huit ans mon fils, puis neuf, puis dix, puis onze, il s’appelle Paul, il est super », écrit-elle à la fin du bref autoportrait qui ouvre Love Me Tender.

Formant une trilogie autobiographique avec Play Boy (2018) et Nom (2022), le roman raconte le manque de Paul, dont la garde lui a été retirée au profit exclusif du père. Avant cette brutale décision de justice, elle le voyait une semaine sur deux, comme n’importe quel parent séparé. Parce qu’elle est femme, lesbienne, écrivaine sans revenus fixes, parce qu’elle mène une vie de « lonesome cowboy », elle est condamnée à attendre la décision de la cour d’appel de Paris. Sans tricher, évacuant toute psychologie, Constance Debré fait le récit factuel des mois et des saisons qui passent, banales et répétitives. Ecrire, nager, faire l’amour, voler de quoi se nourrir au supermarché. Un quotidien entrecoupé de quelques visites à son père, ancien grand reporter et ex-drogué, fils aîné de Michel Debré, le Premier ministre du général de Gaulle, et mouton noir de la famille.

Comme la vie de la narratrice, l’écriture est sans gras, réduite à l’essentiel. Les phrases claquent comme des gifles envoyées à une société où la maternité est le point aveugle d’une révolution inachevée. « Dehors c’est Me Too et le mariage pour tous mais c’est pour de faux », constate Constance Debré. « En vrai, un juge m’oblige à être une mère sous bracelet électronique à la demande de celui qui est encore mon mari. » Celles et ceux qui attendent un happy end seront déçus. Captivant récit d’une métamorphose en cours, Love Me Tender va droit au but, comme un coup de poing à l’estomac.

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Love Me Tender de Constance Debré, Flammarion, 2020. 192 pages, 18 euros.


Article publié dans le numéro de février 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.