Jean-Jacques Audubon, peintre français du bestiaire Américain

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Auteur de l’ouvrage Birds of America, Jean-Jacques Audubon, ornithologue français naturalisé américain, a laissé un bestiaire illuminé de dessins d’une grande perfection qui fait référence pour les scientifiques d’aujourd’hui. Ses œuvres sont à découvrir jusqu’au 10 mai au New York Historical Society Museum.

Un jour de septembre 1828, un homme d’une quarantaine d’années, grand et mince, le regard perçant, la chevelure épaisse retombant sur les épaules, débarquait à Calais d’un bateau parti de Douvres quelques heures plus tôt. Le voyageur avait, pour tout bagage, cinquante kilos de dessins et de peintures originaux !

Le lendemain, il parvient à Paris, muni de lettres de reconnaissance, et se met en quête du baron Cuvier, alors secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. En ouvrant les immenses cartons à dessins du voyageur, le savant animalier découvre un trésor dépassant l’imagination : des reproductions de centaines d’espèces d’oiseaux du continent nord-américain, depuis l’infiniment petit colibri jusqu’à l’aigle de la Sierra, représentés grandeur nature !

Outre la beauté extraordinaire de ces planches colorées et la précision du trait, c’est l’exactitude zoologique de cette étude animalière, hors du commun, qui retint son attention : ailes et corps en mouvement, animaux surpris dans leurs activités alimentaires et nuptiales, et intégrés à leur environnement naturel. Le baron Cuvier décida que cet homme dont il venait d’apprendre le nom, John James Audubon, méritait de rencontrer le tout-Paris artistique et scientifique.

Dès lors, Audubon fut invité partout à conter sa vie de coureur des bois dans les espaces sauvages d’un continent neuf, peuplé d’Indiens et d’aventuriers. Audubon fut d’autant plus chaleureusement reçu par les Parisiens que les romans de Chateaubriand, Atala (1801) et René (1802) avaient, peu auparavant, popularisé la beauté naturelle des paysages de ce nouvel éden.

Encouragé par cet accueil, le peintre se mit en quête de souscripteurs… mais déchanta rapidement, seule une minorité de ses admirateurs parisiens étant prête à engager les fonds énormes requis par l’artiste pour soutenir ses travaux.

Une enfance peu ordinaire

Cette passion pour le dessin et les oiseaux remonte à l’enfance de l’artiste, au pays nantais. Né en 1785 aux Antilles françaises (l’actuel Haïti), Jean-Jacques Audubon était le fils illégitime d’une immigrée française, originaire de Nantes, Jeanne Rabine, et d’un capitaine au long cours, Jean Audubon, d’origine bretonne et protestante. Bien que marié en France à Anne Moynet, Jean Audubon entretenait plusieurs maîtresses dans l’île. En 1788, à la mort de Jeanne Rabine, Jean Audubon ramena son fils en France dans sa propriété de la Gerbetière à Couëron, sur les bords de la Loire.

C’est là, proche des marais, que l’enfant adopté par Anne Moynet, vécut ses jeunes années. Il y fit de longues promenades en compagnie du médecin de la famille, Charles-Marie d’Orbigny, féru de sciences naturelles,  qui lui fera découvrir l’œuvre du naturaliste Buffon. Audubon écrira plus tard : « Ce fut à peu près à cette époque que je me lançais dans une série de dessins des oiseaux de France, que je poursuivis jusqu’à en réunir plus de deux cents, tous plutôt mauvais « .

En 1803, Jean Audubon, craignant la conscription en vigueur en cette période de guerres napoléoniennes, munit son fils âgé de dix-huit ans d’un faux passeport et l’envoie en Amérique, ainsi que le racontera plus tard l’ornithologue dans ses Journaux et Récits : « Mon père craignant mon enrôlement dans l’armée napoléonienne, jugea nécessaire de me renvoyer dans mon cher pays, les États-Unis d’Amérique, où je rentrai avec un intense et indescriptible plaisir ». Là-bas, le jeune homme doit gérer la ferme que possédait son père en Pennsylvanie, le Mill Grove – qui existe encore de nos jours – mais s’en désintéresse rapidement. Il y fait toutefois la connaissance d’une voisine, Lucy Bakewell qu’il épousera en 1808. Ils auront quatre enfants, Victor, John et deux petites filles décédées en bas âge.

En 1807, à vingt-deux ans, Jean-Jacques Audubon s’installe à Louisville, sur les bords de l’Ohio. Il conçoit un projet qui va occuper le reste de son existence : repérer, observer, peindre et décrire tous les oiseaux du continent nord-américain. Il y passera trente ans de sa vie au fond des bois, dans les bayous, sur les rivières et les montagnes, parmi les trappeurs et les derniers Indiens pour poursuivre cette activité. Trente années de voyages, de la Floride au Labrador, des Carolines aux Rocheuses à cheval, sur les premiers bateaux à vapeur et le plus souvent à pied ou en canoë.

En 1810, il fait la rencontre d’Alexander Wilson, l’un des premiers peintres ornithologues. Audubon ne tarde pas à constater que ses propres dessins d’oiseaux étaient supérieurs à ceux de Wilson et envisagea dès lors le projet de représenter tous les oiseaux du continent.

Moins doué pour le commerce que pour l’ornithologie

Audubon se fixe avec sa famille à Henderson dans le Kentucky. Absorbé par sa passion des oiseaux, il exerce en dilettante plusieurs métiers destinés à nourrir sa famille, mais faute de motivation et d’aptitudes naturelles pour le commerce, son entreprise fait faillite et il perd la totalité de ses biens. Pour survivre à cela, il se voit contraint à « la peinture alimentaire », comme il appelle les portraits de notables ou tableaux de défunts sur leur lit de mort.

Son temps libre est consacré à la poursuite de son étude de la nature et sa pratique de la peinture. Il descend le Mississippi avec son fusil, sa boîte de couleurs et son assistant, dans l’intention de trouver et de peindre toutes les espèces d’oiseaux d’Amérique du Nord. En plusieurs dizaines d’années, Audubon – qui désormais est citoyen américain et a anglicisé son nom en John James Audubon en 1812 – parcourt le pays, poussant quelques expéditions jusqu’au Labrador, au Texas et au Missouri.

Il mène une vie errante, le fusil à la main, un crayon dans l’autre, observe la nature avec amour en décrivant et illustrant la flore et la faune, surtout les oiseaux. Il collecte une masse considérable d’observations et découvre une vingtaine d’espèces d’oiseaux.

Écologiste avant l’heure

Pour dessiner et peindre ces oiseaux, il doit d’abord les abattre avec du petit plomb pour ne pas les déchiqueter. Et comme la représentation de ses sujets d’études ne saurait se contenter d’attitudes conventionnelles, il innove : à partir de la dépouille inerte d’oiseaux abattus au fusil, il invente la « planche de position », une sorte de bricolage de cordelettes tendues pour déployer l’envergure d’un rapace ou étirer la patte d’un échassier. Il utilise ensuite du fil de fer pour les maintenir et leur rendre une position naturelle. Cette disposition contraste avec les représentations empesées de son contemporain, Alexander Wilson. Un de ses biographes, Duff Hart-Davis, observe : « Plus l’oiseau était rare, plus il le poursuivait passionnément, apparemment sans jamais s’inquiéter du fait que tuer le spécimen pouvait précipiter l’extinction de son espèce. »

Ironiquement, ce pionnier de l’ornithologie a chassé et abattu tous les jours « plus de cent oiseaux » mais ceci dans le but de les répertorier pour la science et la postérité. Ayant amassé un grand nombre de dessins d’une indéniable valeur artistique, il voulut en retirer de l’argent et se faire une réputation. Il se mit alors en quête d’un éditeur et d’un graveur pour diffuser les dessins, et en 1824 se rendit à Philadelphie avant d’aborder l’Angleterre deux ans plus tard, muni de son énorme portfolio mais poussé par le même projet : trouver des souscripteurs.

Entre son arrivée à Londres, en avril 1826, et le coloriage de sa dernière planche en 1838, il partage son temps entre le suivi de la publication en Europe (200 souscriptions, soit 87 000 planches coloriées à la main sous son contrôle !) et la découverte des oiseaux en Amérique, avant leur disparition sous les coups de la « civilisation ».

En 1827, à partir des aquarelles d’Audubon, le célèbre graveur anglais Robert Havell Jr, spécialiste de l’aquatinte, exécute pendant une période de douze ans une collection de 435 estampes coloriées à la main, intitulée Birds of America, d’un coût si prohibitif que seuls les plus riches collectionneurs pouvaient souscrire.

Mais les Britanniques ne se lassent pas de ces images d’une Amérique sauvage et pleine de forêts. Le succès d’Audubon est immédiat, il est fêté comme « l’homme des bois américain » et récolte assez d’argent pour publier entre 1830 et 1839 Birds of America, cet ouvrage en quatre volumes de 325 planches grandeur nature, peintes à la main. Le  roi George IV compte parmi ses admirateurs enthousiastes et Audubon est élu premier membre de la Royal Society ; il devient également correspondant de plusieurs sociétés scientifiques en Europe et aux États-Unis.

En visite à Washington en 1830, il est devenu une célébrité, invité à rencontrer le président Andrew Jackson et à présenter ses dessins au Congrès qui souscrit à Birds of America. Après quoi, il reprend ses voyages qui le mèneront du Labrador au Texas et à la Floride, ce qui l’entraîne à constater une dégradation de l’environnement.

Il écrit ainsi : « Quand je réfléchis que les bois s’en vont, disparaissent à toute vitesse, le jour sous la cognée, et la nuit dévorés par le feu, je m’arrête, saisi d’épouvante ». Et plus loin, il remarque amèrement : « Les quelques autochtones que j’ai pu rencontrer constatent que plusieurs espèces d’oiseaux, extrêmement abondantes il y a seulement vingt ans, ont abandonné les lieux de reproduction et cherché bien plus au nord des conditions plus paisibles ». Il ajoute également : « On dit que c’est le rhum qui tue l’Indien, c’est plutôt l’absence de nourriture et la disparition de tout ce dont il vivait avant que l’homme blanc ne décime les mammifères et les oiseaux ».

Peut-être lassé par ses longs périples, Audubon s’installe en 1842 à Minnie’s Land, une maison qu’il a fait construire sur les bords de l’Hudson (l’actuel Audubon Park) et publie l’année suivante une édition populaire des Birds of America. Il meurt le lundi 27 janvier 1851 chez lui à Manhattan, à l’âge de soixante-six ans, devenu une des icônes nationales des États-Unis où il est vénéré comme le plus grand peintre
naturaliste.

Il faudra toutefois attendre près de cinquante ans après sa mort pour que soit créée la National Audubon Society qui a pour vocation la sauvegarde des oiseaux et de leur environnement naturel.

Audubon’s Aviary: The Final Flight (Part III of The Complete Flock), du 6 mars au 10 mai au New York Historical Society Museum.

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