Il fut pendant quinze ans le correspondant aux Etats-Unis pour Le Nouvel Observateur dans les années 1990. Son dernier roman, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, a remporté le prix Goncourt le 4 novembre dernier. Fuyant le milieu littéraire parisien, Jean-Paul Dubois sort rarement de sa retraite toulousaine et accorde peu d’interviews. Quand il parle de ses romans, qu’il publie tous les trois ou quatre ans, il est volubile, généreux, s’excuse sans cesse de digresser.
Depuis une quinzaine d’années, tous ses personnages masculins se nomment Paul : des êtres intranquilles, parfois suicidaires, qui regardent le monde comme on resterait sur le bord de la route. « Je raconte toujours l’histoire d’un type qui ne supporte pas l’autorité et refuse de la faire subir à qui que ce soit. Pour moi, c’est toujours le même narrateur, avec la même voix, le même profil psychologique. Mes personnages changent seulement de nom de famille pour que je puisse les faire mourir », confie-t-il, citant Rabbit, le héros récurrent de l’écrivain américain John Updike, à qui il voue une admiration sans borne.
Son nouveau roman, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon suit, entre Toulouse et le Canada, le destin de Paul Hansen, fils d’un pasteur danois, concierge dans une résidence pour retraités aisés. Incarcéré à Montréal pour un acte qu’on ne connaîtra qu’à la fin, il partage sa cellule avec un Hells Angels, aussi attachant que patibulaire et se remémore son passé, de son enfance à sa rencontre avec une femme d’origine amérindienne, pilote d’aéroplane.
Comme souvent, il est question de deuil, de filiation, d’amitié masculine et d’un amour déchirant pour une femme disparue. On retrouve dans ce très beau livre sur l’injustice, porté par une écriture cinématographique, l’humour de Jean-Paul Dubois, son goût pour les grands espaces, son obsession pour la mort et les tondeuses à gazon.
Né en 1950 à Toulouse, Jean-Paul Dubois est d’abord chroniqueur sportif pour le quotidien régional Sud-Ouest, écrit sur la justice et le cinéma dans Le Matin de Paris, puis devient correspondant aux Etats-Unis pour Le Nouvel Observateur. Du début des années 1990 à 2001, il sillonne l’Amérique, dort dans des motels miteux, traîne dans les bars, les églises ou les couloirs de la mort, visiteur muet du « seul zoo de la planète à laisser errer et divaguer en liberté une pareille variété d’individus exotiques, aux idées toxiques et retorses », comme il le raconte dans L’Amérique m’inquiète (2017), un recueil de ses chroniques américaines, essentielles pour comprendre le pays qui a élu Donald Trump.
Qu’elles racontent les inégalités du système de santé, fassent partager le quotidien des sans-abris de Las Vegas ou la lente agonie des condamnés à mort sur une chaise électrique défectueuse, elles sont le miroir d’une Amérique dopée à la religion et à la morale, d’un pays où tout se monnaie : un arpent de lune, du sexe téléphonique en plein désert, les assurances-vie des malades du sida rachetées à vil prix par des spéculateurs.
Si le plus gros succès de Jean-Paul Dubois, et son seul livre traduit aux Etats-Unis, Une vie française (prix Femina 2004), a la France pour unique décor et épouse l’histoire de la cinquième République, son expérience américaine est un inépuisable réservoir de fiction. Comme dans Les accommodements raisonnables, où un scénariste dépressif est embauché par un studio hollywoodien, et La Succession, situé en partie dans le milieu des joueurs de pelote basque professionnels de Miami et dont l’un des personnages est inspiré par le Dr Jack Kevorkian, inventeur d’une machine pour aider les gens à mourir dans la dignité. « Ces années m’ont fait comprendre que le monde fonctionnait sur des folies, des absurdités », conclut le romancier qui, pendant vingt ans, a écouté battre le « cœur brutal et aveugle » de l’Amérique.
Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois, Editions de l’Olivier, 2019. 256 pages, 19 euros.
Article publié dans le numéro d’août 2019 de France-Amérique. S’abonner au magazine.