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Damoiselle : humour, histoire et beauté

Et si les tutoriels de beauté avaient toujours existé ? C’est le point de départ de la série Damoiselle, une création TV5MONDEplus dont la deuxième saison vient d’arriver sur la plateforme de streaming francophone. Une lecture ludique, intelligente et féministe de l’histoire.
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Nous sommes en 1452. Ermance la Brune est complexée par l’implantation de ses cheveux, qu’elle juge trop basse : « On dirait une pécheresse ! » Dans sa chambre, face à la caméra, elle explique alors aux abonnées de sa chaîne beauté comment avoir le même front haut qu’Agnès Sorel, la favorite du roi de France Charles VII, immortalisée dans un portrait aujourd’hui visible au musée royal des Beaux-Arts d’Anvers, en Belgique. Avant de préparer une pâte dépilatoire à base de coquilles de noix réduites en cendres et de vinaigre (ou d’urine d’âne, « si comme moi vous avez le poil bien dru ») et de l’appliquer sur son front et ses sourcils. Effets garantis !

Si YouTube ou Instagram sont évidemment prématurés au milieu du XVe siècle, s’épiler le front était par contre une pratique courante. « Ça faisait partie des critères de beauté qui permettaient de montrer qu’on était spirituel et pur », explique Julien Magalhaes, le consultant en histoire de la série. « Dans la société médiévale, le corps est le reflet des qualités morales. » C’est le principe de Damoiselle : une pastille grinçante de cinq à six minutes sur la beauté et la condition de la femme à travers les âges, suivie par un éclairage historique et pédagogique sur la période. Parmi les autres sujets traités : les protections périodiques dans l’Egypte antique, l’apparition du fer à friser à la Belle Epoque et la pénurie de bas en soie en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

« C’est un format court qui sort de l’ordinaire, que l’on n’a pas l’habitude de voir », apprécie Valérie Billaut, la cofondatrice de Taleseed, société parisienne qui coproduit Damoiselle en collaboration avec Et Bim. Elle répond à nos questions sur les ingrédients de la série et la réussite des productions françaises à l’étranger.

France-Amérique : Damoiselle a remporté le prix de la meilleure série française au Marseille Web Fest en octobre dernier et une troisième saison est d’ores et déjà en discussion. Comment expliquez-vous un tel succès ?

Valérie Billaut : Je pense à plusieurs facteurs. Un premier levier, c’est l’humour mêlé de finesse de la série. C’est un divertissement intelligent qui faire rire. Le deuxième levier, c’est l’actrice Ambre Larrazet [aussi cocréatrice et coréalisatrice de Damoiselle avec Queenie Tassell], qui joue très bien – c’est un point qui revient fréquemment dans les commentaires sur les réseaux sociaux. Le troisième pilier, c’est toutes les problématiques féminines que soulève la série et qui restent très actuelles. Le quatrième pilier, c’est cette parodie d’un format qui cartonne sur les réseaux sociaux : les tutoriels beauté. Avec de vrais décors, de vrais costumes et un effort sur l’écriture, enfin, Damoiselle se distingue par sa qualité. C’est un format court qui s’apparente beaucoup à une série de fiction.

Nous sommes loin des séries françaises des années 1990… Pourquoi une telle évolution dans le paysage audiovisuel national ?

Déjà, il s’est passé du temps. En trente ans, les spectateurs ont évolué, tout comme leurs goûts. Par ailleurs, l’arrivée des plateformes américaines de streaming a chamboulé le marché en proposant des contenus à gros budget et en augmentant le niveau d’exigence du public. Ce qui fait que les spectateurs, avec la multiplication des diffuseurs, ont pris l’habitude de regarder des contenus très variés et ce, avec un œil aguerri et critique. Ils sont aussi beaucoup plus ouverts qu’auparavant.

Quel est le rôle de la société de production dans la naissance d’une série ?

Pour résumer, nous prenons une idée – d’un auteur, l’adaptation d’un livre, par exemple – et l’emmenons jusqu’à la diffusion. A partir de cette idée initiale, nous commençons par écrire une « bible », un document de dix à vingt pages dans lequel nous développons l’histoire, les personnages et leurs enjeux, afin de donner envie à un diffuseur. Entre-temps, il faut trouver un ou des auteurs pour écrire cette bible et éventuellement attacher une réalisatrice ou un réalisateur. Si le projet séduit le diffuseur, celui-ci en devient alors le financeur. Vient ensuite la phase d’écriture des épisodes, la pré-production, le casting, le tournage, la post-production et enfin la diffusion. Etre producteur, c’est faire de la gestion de projet – sur un temps plus ou moins long selon que l’on parle d’un format de 90 minutes unitaire ou d’une série de huit épisodes de 52 minutes, d’une série contemporaine, d’une série historique ou d’un documentaire… C’est trouver des idées, les développer, les vendre et les réaliser.

La société de George Clooney est en train d’adapter Le Bureau des légendes. Peut-on parler d’une patte française dans l’écriture de séries, qui expliquerait le succès international des productions venues de France et leurs nombreux remakes ?

Il y a forcément une patte locale. Ensuite, est-elle plus française que propre à chaque auteur ? Les créateurs français osent-ils plus ? C’est difficile de généraliser… Ce qui est certain, c’est que la France est devenue une marque mondialement reconnue. Paris est une marque qui s’exporte très bien – voyez le succès de la série Lupin, qui est elle-même devenue une marque, tout comme Omar Sy. Cet attrait pour la France est une vraie force pour les projets. Nous avons d’ailleurs conçu le format de Damoiselle dans le but de le vendre à l’étranger. La série pourrait facilement être adaptée dans d’autres pays, d’autres cultures.


Damoiselle
est actuellement disponible sur TV5MONDEplus.