Le nom de Paul Cézanne n’est généralement pas associé à l’art du portrait. Bien que ses portraits ne représentent qu’une part restreinte de son abondante production, ils font partie intégrante de son œuvre. La National Gallery of Art de Washington D.C. leur consacre une exposition jusqu’au 1er juillet prochain.
Fils d’un banquier qui lui allouait une rente, Cézanne n’eut jamais à vendre ses toiles pour vivre, de même qu’il n’eut jamais à peindre de portraits de commande. Pour ses quelque cent soixante incursions dans le genre du portrait, il fait appel à sa famille, à ses amis, à quelques paysans de sa région qui acceptent de poser, et se prend parfois lui-même pour modèle. Ces portraits émaillent l’ensemble de sa carrière, du début à la fin. On peut les considérer comme des exercices stylistiques dans la progression, étape par étape, de son langage pictural, lequel conduisit aux prémices de l’abstraction au début du XXe siècle.
La première toile de Cézanne, comme la dernière, sont des portraits. Les deux sont au cœur de l’exposition Cézanne’s Portraits, présentée à la National Gallery of Art de Washington, après l’avoir été au musée d’Orsay à Paris l’an dernier. Cette exposition, exclusivement consacrée à la démarche de Cézanne portraitiste, est la première du genre. Examinons pourquoi, dans le contexte plus large de son œuvre, elle est incontournable.
Les soixante toiles exposées font davantage appel à la réflexion du spectateur qu’à son sens esthétique, dans le sens où elles reflètent la pratique de l’artiste qui réalise de multiples versions du même sujet pour explorer différentes attitudes et compositions. L’impression d’ensemble a quelque chose de familier, avec les couleurs intenses, les formes géométriques qui rappellent ses plus célèbres paysages et natures mortes. Ce qui fascine, c’est l’observation quasi clinique des modèles, apparemment loin de la psychologie ou de l’introspection, et encore plus de la flatterie. Chacun y trouvera son compte.
L’exposition fait une large place aux portraits de la femme de Cézanne, Hortense Fiquet. Réalisés au cours de deux décennies, ils dépeignent une femme qui ne vieillit pas, à l’expression impénétrable, à l’attitude de sphinx, les lèvres pincées et les cheveux invariablement tirés en chignon. L’histoire veut que Cézanne et Hortense aient été des étrangers l’un vis-à-vis de l’autre durant la plus grande partie de cette période et qu’ils vivaient séparément. Mais étant donné la réputation de lenteur de Cézanne, et le nombre de fois où Hortense a posé pour lui (29 peintures à l’huile !), le couple a en réalité passé de nombreuses heures en compagnie l’un de l’autre.
Les portraits du début, avec la couleur appliquée en couches successives à la brosse, et l’absence de détails, témoignent du mépris de Cézanne vis-à-vis des joliesses conventionnelles du genre. Avec le portrait de son oncle Dominique Aubert, un fidèle et patient modèle, Cézanne délaisse la brosse et applique une pâte épaisse au couteau, couche après couche, sur une toile au tissage grossier, une technique qu’il qualifia lui-même plus tard de « couillarde ». Très significatif également, le grand portrait de son père, Louis-Auguste Cézanne, en train de lire un journal. Mais celui qu’il a en mains n’est pas son quotidien local habituel. C’est L’Evénement, le journal progressiste dans lequel Emile Zola, ami d’enfance de l’artiste, écrivait.
« Cézanne Portraits »
Jusqu’au 1er juillet
National Gallery of Art
Washington D.C.
www.nga.gov
Article publié dans le numéro de mai 2018 de France-Amérique