« Montjoie ! Saint-Denis ! », hurle un visiteur hilare à la vue de cet improbable chantier. La réplique de Jean Reno dans le film Les Visiteurs prend un sens tout particulier à Guédelon : dans cette comédie de 1993, les deux personnages principaux, vivant au Moyen Age, sont projetés dans le futur et se retrouvent dans notre monde moderne. Ici, c’est l’inverse. En croisant une troupe d’oies en liberté, en écoutant la musique du ciseau du tailleur de pierre ou en admirant l’ébéniste au travail dans sa cape et son capuchon, une cordelette en guise de ceinture, nous voici revenus huit siècles en arrière.
Hormis quelques outils de sécurité, rien ne rappelle notre époque. Si les quarante salariés – ou « œuvriers », un mot-valise local combinant «œuvre » et « ouvrier » – ne vont pas jusqu’à s’exprimer en ancien français, ils maîtrisent les méthodes ancestrales de construction. « En plus d’être un bon artisan, le maçon, le peintre ou le tailleur de pierre doit être capable d’expliquer son métier aux visiteurs », explique le maître d’œuvre Florian Renucci en présentant l’outil qu’il tient en main : une longue règle de bois graduée en pouces. Quelque 300 000 curieux visitent Guédelon entre avril et novembre chaque année, ce qui permet au site de s’autofinancer.
Les ouvriers, souvent formés sur le chantier, sont des passionnés du Moyen Age. Ils retrouvent des gestes oubliés. C’est le cas de Charlotte Andrault, la tisserande, qui confectionne des écharpes pour le personnel et la boutique. Alors que ses tissus baignent dans une marmite en train de bouillir, elle témoigne de la difficulté à retrouver les techniques de teinture du XIIIe siècle, qui se transmettaient alors essentiellement à l’oral. Plus loin, devant la forge, son mari Philippe Picard explique à des enfants aux yeux ronds de curiosité comment fonctionne l’immense soufflet dont il se sert pour attiser le feu. Chaudronnier de formation, il a quitté son emploi dans l’industrie nucléaire il y a huit ans pour rejoindre le chantier.
Un travail de fourmi
Pourquoi bâtir un château fort en n’utilisant que des procédés et outils employés entre la fin du XIIe siècle et le début du XIVe siècle ? L’idée a surgi à la fin des années 1990, lorsque des études archéologiques menées sous le château Renaissance de Saint-Fargeau, à une dizaine de kilomètres de Guédelon, ont révélé les restes d’un château médiéval. Les historiens conclurent leur rapport par un dessin de l’ensemble du bâtiment et une phrase qui fera date : « Il serait passionnant de reconstruire Saint-Fargeau. »
En 1997, l’architecte en chef des monuments historiques, Jacques Moulin, achève les plans du château pendant qu’une dizaine de passionnés commencent à défricher une clairière dans la forêt de Guédelon. Ce site naturel de quinze hectares fournira les matières premières nécessaires au chantier : la pierre pour les murs, le bois pour la charpente, le sable pour le mortier, la terre argileuse pour les tuiles, les pigments naturels du sol pour les peintures. Un comité scientifique composé d’historiens, d’archéologues et de castellologues voit le jour pour superviser les travaux et s’approcher au plus près du savoir-faire de l’époque.
Le logis du seigneur est achevé, tout comme la tour de la chapelle, le plus gros des remparts et une partie du donjon. Mais que se passera-t-il lorsque le chantier prendra fin ? Le maître d’œuvre sourit : « Nos ancêtres du XIIIe siècle auraient fini ce château en douze ans. Cela fait vingt-cinq que nous sommes au travail et ça nous prendra encore au moins une douzaine d’années pour terminer. Parce que les ouvriers posent sans cesse leurs outils pour dialoguer avec le public et que nous débordons d’idées nouvelles, nous ne sommes pas au bout de l’aventure ! »
Article publié dans le numéro de juin 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.