La plus grande sculpture en bas-relief du monde se trouve à quelques kilomètres d’Atlanta, dans le granit de Stone Mountain. Elle est dédiée aux « héros » des Etats confédérés d’Amérique, la dizaine d’Etats sudistes, esclavagistes puis ségrégationnistes, qui pendant la guerre de Sécession se sont opposés à l’abolition de l’esclavage. Un symbole du Deep South achevé en 1972.
Ce contexte n’empêche pas Atlanta de célébrer sa communauté africaine-américaine. Au cœur de Piedmont Park, dans le quartier de Midtown, se trouve une plaque commémorant Booker T. Washington, l’un des leaders les plus importants du XIXe siècle. En ville, on trouve également le King Center, dédié aux actions de Martin Luther King (sa maison natale, désormais un site historique national, se trouve à côté), de sa femme Coretta Scott King, de la Southern Christian Leadership Conference et de la multitude d’églises et organisations noires qui ont lutté pendant le mouvement pour les droits civiques. Des hommes et des femmes qui ont versé leur sang, parfois donné leur vie, pour une cause: la liberté, la dignité et l’égalité promises par la Déclaration d’indépendance.
Atlanta est aussi le berceau des Historically Black Colleges and Universities, ces universités fondées à partir du XIXe siècle pour accueillir les étudiants noirs, alors exclus des institutions traditionnelles. Enclaves éducatives, culturelles, sociales et politiques, Clark Atlanta University, Spelman College et Morehouse College (l’alma mater de Martin Luther King) cultivent une certaine idée de l’identité africaine-américaine. On y encourage un sens du collectif communautaire et du leadership responsable.
Comment, dans un tel contexte tout en contradictions, cette histoire et ces cultures noires se déclinent, se transforment et se donnent à voir ? Dans le contexte élargi du Sud et de l’Atlantique noir – des espaces auxquels j’appartiens moi-même, étant née à Paris de parents ivoiriens –, comment prendre conscience puis traduire ces expériences noires sans les trahir et tout en soulignant leur richesse, leur complexité, leurs paradoxes, leurs ambivalences, leur beauté et leurs difficultés ? Tel est l’objet de ma recherche à Atlanta.
C’est de Cascade que l’inattendu a jailli. Prisée par une clientèle noire, cette piste de patin à roulettes des quartiers ouest de la ville offre une traduction vivante de l’expérience communautaire africaine-américaine. Cascade Skating Rink, c’est un défilé de mode, un concert, une scène, une piste de danse et de course. A l’abri de tout carcan, droit debout dans leur humanité, corps, vêtements, coupes de cheveux, âges, sexes, genres et sexualités, individus seuls ou en groupes, jeunes ou âgés, s’offrent sans fard au regard. Un spectacle vivant d’une intensité époustouflante.
Mais on le sait, il faudra, l’heure venue, sortir dans la rue et se confronter au réel et à la précarité de l’existence. Une précarité fruit du passé et d’une violente histoire, temporairement mise sur pause grâce à la musique d’un DJ. Telle est la magie d’Atlanta.
Le Triangle et l’Hexagone : Réflexions sur une identité noire de Maboula Soumahoro, La Découverte, 2020.
Article publié dans le numéro de février 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.