RIP

Henri Dauman, adieu à l’œil français de l’Amérique

On connaît tous, sans le savoir, ses clichés d’Elvis Presley et de John F. Kennedy. Immigré aux Etats-Unis à 17 ans, le photographe français et collaborateur de Life a écrit l'une des pages du photojournalisme américain. Il s'est éteint le 13 septembre à l'âge de 90 ans.
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© Daumanpictures.com

Orphelin au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Henri Dauman, né à Montmartre en 1933, embarque seul, muni de son appareil photo, sur le paquebot Liberté, rejoindre son « oncle d’Amérique » en décembre 1950. Il n’a que 17 ans. Dégourdi, le jeune homme qui ne maîtrise pas encore l’anglais, devient correspondant pour le journal France-Amérique. « Je photographiais les personnalités politiques et culturelles de passage et la vie de la communauté française à New York. »

Il transforme sa cuisine en chambre noire, effectuant ses reportages le jour et la nuit les tirages, qu’il envoie ensuite par la poste aux différentes rédactions. Se définissant comme une one-man agency, il revendique une liberté totale d’action et se paie même le luxe de refuser un poste fixe au sein du prestigieux magazine Life. Créatif, Henri Dauman innove sans cesse : « Pour le supplément du New York Times, qui était alors imprimé sur du papier journal gris de qualité médiocre, j’ai eu l’idée d’installer un flash électronique derrière mes sujets, afin d’éclairer les portraits pour qu’ils ressortent mieux une fois imprimés sur la page. » Un procédé largement utilisé depuis par les photographes.

Portraitiste de stars

De sa longue carrière, Henri Dauman aura collecté plusieurs centaines de portraits, une galerie impressionnante, du Tout-Paris aux acteurs d’Hollywood. Réinventant le glamour au naturel, sans effets de pose, il immortalise les regards sensuels de Liz Taylor, le panache de Marilyn Monroe, la profondeur de Jane Fonda, le dos nus de Brigitte Bardot (aux côtés de qui il fait une apparition en 1962 dans le film Vie privée de Louis Malle, dans le rôle d’un photographe), l’attitude fringante d’Elvis Presley, la fougue de Miles ­Davis, la classe d’Yves Saint-Laurent, le visage juvénile d’Alain ­Delon et le regard étonnamment tendre de Godard.

Yves Saint-Laurent sur la Septième Avenue, à New York, en 1958. © Henri Dauman/Daumanpictures.com
Andy Warhol à la Bianchini Gallery, à New York, en 1964. © Henri Dauman/Daumanpictures.com
Jane Fonda chez elle, à New York, en 1963. © Henri Dauman/Daumanpictures.com
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Alain Delon devant la Maison-Blanche, en 1964. © Henri Dauman/Daumanpictures.com

Dans la course à l’image, il se démarque aussi par ses cadrages audacieux et assure lui-même la mise en scène de ses shootings. Expérimentateur, il s’adonne avec joie à l’exercice des « séquences », ces séries de photos instantanées très cinématographiques, qui donnent l’impression d’assister à une scène animée : l’une de ses meilleures saisit Liz Taylor en transe pendant le match de boxe opposant Ingemar Johansson à Floyd Patterson, à New York en 1960. Cette audace séduit les Américains et son travail est publié dans Newsweek, le New York Times et surtout Life Magazine, dont il devient le photographe vedette en 1958. Certains de ses clichés, influencés par le pop art, inspireront à leur tour les maîtres comme Andy Warhol et Roy Lichtenstein.

Outre les stars, ce photographe de rue infatigable signe des reportages fabuleux, captant aussi bien la bohème de Greenwich Village que la dure réalité du Bronx, l’Amérique noire, le combat pour les droits civiques et la démesure de l’architecture locale. En 1963, le MoMA de New York acquiert sa série sur l’architecture américaine, Looking Up, qui saisit la restructuration de la ville lors des grands travaux d’urbanisme. Outre sa technique et son instinct, c’est aussi un regard : celui d’un Français fasciné par la modernité de l’Amérique d’après-guerre, en pleine mutation.

Un demi-siècle d’histoire de l’Amérique

Témoin privilégié d’un pays qui lui a ouvert grand ses portes, il possède encore dans son appartement de l’Upper East Side, à New York, des milliers de négatifs, autant de planches-contacts et des centaines de tirages d’époque. Soit un demi-siècle d’histoire de l’Amérique en sommeil dans ses cartons : un trésor révélé dans le documentaire Looking Up réalisé par l’Américain Peter Kenneth Jones et produit par Nicole Suerez, sa compagne et la petite-fille d’Henri Dauman, ainsi que dans un exposition itinérante du même nom, présentée au printemps 2018 à Los Angles et en septembre 2019 à Atlanta.

Henri Dauman « n’a jamais considéré ses photographies comme de l’art : elles vivaient dans des magazines à double page, pas dans des galeries », explique sa petite-fille, interviewée par le Times of Israel. A la fois au centre et à la marge de l’histoire, il rendit compte « sans le savoir » de la mutation de la société américaine. « J’ai eu la chance de réaliser une série de reportages qui, à conclusion, montrait l’évolution des Etats-Unis », expliquait-il à France-Amérique en 2015. « Je n’en avais pas conscience sur le moment, j’étais pris dans le flot. »


Le documentaire Henri Dauman: Looking Up est disponible sur Amazon Prime, Google PlayiTUnesYoutube et Vudu.


Article initialement publié dans le numéro de février 2015 de France-AmériqueS’abonner au magazine.