Joyeux Noël !

Québec à pas contés

A l'occasion des fêtes, France-Amérique vous invite à découvrir Québec, une ville qui se laisse arpenter et raconter comme un conte de Noël. Celui que nous vous proposons, comme une excuse délicieuse à un parcours de la cité qui fêtait cette année ses 400 ans, est de Denis Trudel, menteur* et cerf-voliste québécois.
© Tim Geenens

Chapitre premier : la ville haute

Pas très loin d’ici, juste derrière le château Frontenac, dans le petit parc Cavalier du Moulin, en haut de la falaise, se dresse un vénérable sapin. Les deux bras ne suffisent pas à en faire le tour. Autrefois, dans cette partie de la haute ville aujourd’hui touristique, il y avait un quartier populaire. C’est là que vivait, avec sa mère, la jeune Emilie, une jolie fillette, orpheline de père et sans le sou. C’était le soir de Noël…

La chasse aux mille et uns trésors de Québec commence dans cette vieille ville sertie de remparts, un labyrinthe de ruelles pavées qui montent et qui descendent, et abritent aujourd’hui de jolis hôtels très abordables et une enfilade de bons petits restaurants. Tout en haut, le fameux château Frontenac, le plus vieux et le plus somptueux hôtel de la ville, soi-disant le plus photographié du monde. Il surplombe le fleuve et les immenses plaines d’Abraham, un espace vert de plus de cent hectares, qui, l’hiver, se transforme en terrain de jeu géant : pistes de ski de fond, luges, chiens de traîneau, raquettes, bobsleigh…

Un peu plus bas, sur la côte de la Fabrique, beaucoup de commerces : Harricana, la boutique d’une jeune designer québécoise, Mariouche Gagné, propose des créations en véritable fourrure, recyclée à partir d’anciens manteaux démodés. Aujourd’hui, la jeune créatrice, qui fêtait l’année dernière les dix ans de sa marque, distribue ses articles dans plus de vingt pays. Une idée « écoluxe » bienvenue lorsque l’on sait que l’hiver québécois s’invite parfois jusque dans les -40°C. Juste à côté du Musée de l’Amérique française, reconverti depuis peu en un moderne Centre de la Francophonie des Amériques (Québec la quadricentenaire était aussi en 2008 la capitale de la Francophonie), Simons, la réponse québécoise au Macy’s new-yorkais, et un peu plus loin, sur la place d’Youville, la patinoire à ciel ouvert de la ville. Tard dans la nuit, lorsque tout le monde dort, on y rencontre Arthur et ses copains, les joues rougies par le froid, qui s’entraînent pour leur prochain match de hockey : « C’est la meilleure heure pour s’entraîner. La piste est à nous. » Sur la place déserte, la serpe des patins résonne comme une musique de glace.

Chapitre deuxième : la ville basse

Un peu plus bas, dans le quartier du Vieux Champlain, vivait Mimosa, un quêteux* devenu amnésique sans que l’on sache trop pour quoi – on disait qu’il était devenu fou en écrivant un livre répertoriant l’ensemble des connaissances du monde. On l’avait donc rebaptisé, avec dérision, du nom d’une fleur qu’il ne sentait manifestement pas.

Les Québécois, fiers de leur patrimoine, vous inviteront sans doute à aller visiter au bas de la falaise, le quartier du Petit Champlain, berceau historique et sanctuaire touristique de la ville. Ses étroits fuseaux se parent pour les fêtes de joyeux bijoux luminescents. Céline Gingre, directrice du Conseil des métiers d’art du Québec, petit bout de femme rond et chaleureux, connaît mieux que personne ce quartier, qui, racheté par une coopérative de commerçants, a mis en place depuis quelques années à la période des fêtes un joli programme de manifestations. Elle nous détaille avec enthousiasme le menu des festivités : chants de Noël, dégustations de plats traditionnels (insistance gourmande sur la tourtière* du lac Saint-Jean), contes en plein air, ateliers pour enfants…

Si vous tenez à ramener des objets typiques du coin, préférez cependant le Petit Champlain, le quartier du vieux port, notamment, la rue Saint-Paul, celle des antiquaires. Le vieux port et le quartier Saint-Roch ont été l’objet d’une grande politique de rénovation urbaine et abritent désormais des hôtels et des restaurants haut de gamme. Rien ne vous empêche, à ce stade, de vous arrêter siroter un Caribou* ou un Sortilège* devant la grande cheminée de l’hôtel Dominion 1912, avant d’aller dîner au très branché Laurie Raphaël, l’une des adresses de Mariouche Gagné.

Chapitre troisième : hors les murs

Mimosa, au moment de Noël, allait toujours fouiner du côté du magasin général de M. Moisan. C’est là, derrière le kiosque de l’épicier, que, pris au nez par l’odeur entêtante de la sève, il s’endort sur un tas de branches fraîchement coupées. Emilie vient à son tour pour voir si il ne reste pas un sapin qu’elle pourrait ramener chez elle. Elle tâte dans le noir, et sent Mimosa, gelé, et sur lequel des branches se sont collées. Elle le prend pour un sapin et l’emporte avec elle, sur son traîneau.

L’épicerie Moisan existe toujours. Fondée en 1871, c’est la plus vieille encore opérationnelle en Amérique du Nord. A l’intérieur, des produits fins d’importation, mais aussi et surtout des terrines de viande et des spécialités à l’érable, qui valent le détour hors des murs de la vieille ville. Le point de rencontre des noctambules se situe juste un peu plus haut, derrière le Parlement du Québec : restaurants à foison, bars à chansonniers, comme le très populaire Voûtes Napoléon, et clubs, comme l’institutionnel Dagobert, s’étalent le long de la Grande Allée jusqu’à l’avenue Cartier.

Québec, surtout l’hiver, surtout si l’on est sportif, mérite aussi que l’on s’intéresse à ses alentours. A quelques kilomètres au nord, il y la belle île d’Orléans, encore très sauvage. Pour y accéder, on passe devant les chutes de Montmorency, qui, gelées l’hiver, deviennent un incroyable lieu d’escalade sur glace. Et puis, il y a encore les Battures de Beauport, pour les fous de kitesurf sur glace. La neige, reine au Canada, sait à Québec être magnanime.

Epilogue

Mimosa, devenu sapin de Noël, est réveillé par la bonne chaleur de l’âtre. Sur un matelas, dans un coin de la pièce, il distingue une petite forme, qui en y regardant de plus près, lui semble familière. Il reconnaît sa fille, perdue des années auparavant. Des larmes de sève coulent de ses yeux de bois, et du bout de ses branches, trempées de l’encre de ses larmes, il écrit une note sur le sol : « Ton père veille sur toi. » Le lendemain, Emilie trouve la note et, affolée, réveille sa mère, qui reconnaît l’écriture de son mari. Elles plantent le sapin dans la terre du jardin. Emilie, toute sa vie durant, refusera que l’on coup l’arbre, et après des études d’urbanisme à l’université de Laval, dirigera les travaux d’aménagement qui donneront à la ville son visage actuel. Aujourd’hui, si vous collez votre oreille contre le tronc du sapin, vous l’entendrez de l’intérieur fredonner des chants de Noël.

*Lexique
Caribou : vin chaud traditionnel québécois
Quêteux : personne sans-abris
Menterie : art du conte
Menteur : conteur
Sortilège : whisky québécois au sirop d’érable
Tourtière : pâté traditionnel à la viande


Article publié dans le numéro de décembre 2008 de France-AmériqueS’abonner au magazine.