A Lake Arthur, une bourgade à l’ouest de Lafayette, le club ‘Tit George’s ne paie pas de mine. Des câbles pendent le long des murs de planches, des rideaux fleuris masquent les fenêtres. Mais personne n’est là pour la décoration : le dimanche après-midi, on y danse la valse et le two-step au son des Hicks Wagon Wheel Ramblers, avec Blackie Frugé au violon et Eula Mae, sa sœur, assise derrière sa guitare steel. Ron Stanford se souvient : « Ils ont joué le premier créneau de 14h à 18h30 devant une salle pleine d’adolescents, de retraités, de types bourrés et de bagarreurs. »

En 1972, Ron Stanford s’installe à Basile, au cœur de la Louisiane francophone. Il a 23 ans. Quelques années plus tôt, pendant ses études dans l’Iowa, il a rencontré le violoniste Dewey Balfa, icône de la renaissance cadienne, invité en 1964 du Newport Folk Festival avec Bob Dylan et Joan Baez, qui lui suggèrera de documenter la culture musicale de sa région. Le photographe et sa femme Fay emménagent dans une maison à 25 dollars par mois et transforment en chambre noire le vieux fumoir derrière la maison.
Leur objectif : photographier, interviewer et enregistrer les musiciens francophones de Louisiane. « Dewey Balfa et sa famille nous ont ouvert les portes de cette communauté », explique Ron Stanford. « Ils nous ont invité à leur réunion de famille près de Lake Charles, nous ont conseillé d’aller au Kenwood Club à Port Barré. Ils nous ont présenté Madame Agnès Bourque, qui ne parlait pas un mot d’anglais et a chanté pour nous une vieille balade française, ‘La veuve de sept ans’. »

Avec un magnétophone à bande et une bourse de 5 513 dollars du National Endowment for the Humanities, le couple écume les bars, les noces et les fêtes populaires : le festival de musique cadienne de Mamou, le festival du cochon de Basile, le barbecue des pompiers volontaire de Maurice. « La musique était partout », se souvient Ron Stanford. Les fais-do-do, ces bals où les mères couchaient leurs enfants dans une pièce à l’écart avant d’aller danser, sont des rendez-vous incontournables. « J’ai été-z-au bal hier au soir », chantait Dewey Balfa. « Je va’s retourner encore à soir, Si l’occasion se pré-sente, Je va’s retourner demain au soir. »
Dans ces bals, Ron Stanford et sa femme sont souvent les seuls « étrangers » : les seuls à ne pas parler français à la maison. Les années 1970 verront l’ouverture de la musique cadienne et créole à un plus large public. Le festival Tribute to Cajun Music, organisé en 1974, évoluera pour devenir Festivals Acadiens et Créoles, qui attire chaque année plus de 150 000 fans à Lafayette. En octobre dernier, sur la scène Mon Héritage, on a applaudi le groupe star de rock cadien les Lost Bayou Ramblers, Grammy du meilleur album de musique régionale en 2018. Les jeunes Louisianais ont rendu cool la musique de leurs grands-parents !
Big French Dance: Cajun & Zydeco Music 1972-1974 de Ron et Fay Stanford, 2019. 96 pages, 45 dollars.





