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Thomas Jonas : le français qui veut réinventer les protéines

Une nouvelle protéine arrive sur le marché américain des produits végan. Capable de remplacer viande et laitages, Fy trouve son origine dans un champignon du parc de Yellowstone... et c’est un Français installé à Chicago qui en a fait un produit commercial.
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Thomas Jonas, le cofondateur et PDG de Nature’s Fynd. © Nature’s Fynd

L’avenir de l’alimentation viendra-t-il des geysers brûlants de Yellowstone ? C’est le pari de Thomas Jonas, cofondateur et PDG de Nature’s Fynd, une start-up de Chicago qui commercialise depuis l’an dernier une protéine alimentaire produite par un micro-organisme découvert dans les sources géothermales du célèbre parc américain. L’entreprise a déjà levé plus de 500 millions de dollars et compte parmi ses investisseurs l’ancien vice-président américain Al Gore et les milliardaires Jeff Bezos et Bill Gates.

A partir de la même protéine, appelée « Fy », Nature’s Fynd propose deux lignes de produits végétaliens très différents : des fromages à tartiner et des breakfast patties, ces saucisses plates qui sont un classique des petits déjeuners américains. Déjà présents dans plusieurs chaînes de supermarchés aux Etats-Unis, dont Fairway et Whole Foods, ces aliments seront bientôt rejoints par des yaourts, des nuggets et des mousses au chocolat. « Notre protéine présente la double particularité d’être complète », explique Thomas Jonas, « c’est à dire de posséder tous les acides aminés nécessaires à l’alimentation et de pouvoir remplacer à la fois la viande et les laitages ».

La Grand Prismatic Spring, la source naturelle d’eau chaude d’où est originaire le micro-organisme Fusarium strain flavolapis. © Nature’s Fynd

La protéine Fy est aussi économe en ressources : pour la produire, le micro-organisme découvert à Yellowstone n’a besoin que d’eau, de sucre et de sel. Le procédé, qui s’apparente à la fermentation, se fait en usine, avec une température et une atmosphère contrôlées. A l’arrivée, l’impact environnemental est bien inférieur aux protéines issues des animaux et des plantes et la production peut s’effectuer n’importe où. « Nous utilisons 99 % de terre et d’eau en moins par rapport à l’élevage bovin et dégageons 94 % de gaz à effet de serre en moins », explique le dirigeant. Ironie de l’histoire : la première usine de Nature’s Fynd est située à Chicago dans le quartier des anciens abattoirs, immortalisés par Hergé dans l’album Tintin en Amérique !

Des emballages aux micro-organismes

L’histoire de Thomas Jonas, 52 ans, est celle d’une reconversion complète. Avant de devenir entrepreneur, ce diplômé d’HEC a débuté sa carrière à Hong Kong et en France. Il est arrivé à New York en 2003 pour diriger la stratégie d’une filiale de Péchiney, un conglomérat français spécialisé dans l’aluminium. « J’avais toujours eu envie d’aller aux Etats-Unis et quand l’occasion s’est présentée, je l’ai prise avec excitation et grand plaisir », explique-t-il. Installé à New York, il prend en 2008 la présidence d’une division de MeadWestvaco, un groupe américain spécialisé dans l’emballage.

L’expérience, « très intense », s’arrêtera quatre ans plus tard. « J’avais redressé l’activité que je dirigeais et j’ai quitté l’entreprise en ayant suffisamment d’argent pour me poser et réfléchir à la suite. Je suis parti à Hawaï avec ma femme et ma fille. » La parenthèse ne devait durer que deux semaines. Elle se prolongera pendant un an, durant lequel naîtra son deuxième enfant. « La réalité est que je ne savais pas vraiment quoi faire. J’aurais pu continuer dans la même voie mais j’avais envie d’autre chose. J’ai commencé à me demander comment avoir un impact plus positif. »

Avec un partenaire « rencontré sur la plage », il crée une petite structure pour investir dans des projets portés par des scientifiques. « L’idée était de faire des paris sur des technologies de rupture. C’est exactement ce qui s’est passé avec Fy ! » Thomas Jonas croise alors la route de Mark Kozubal, un chercheur du Montana qui avait mené avec la NASA un projet sur les micro-organismes du parc de Yellowstone, appelés « extrêmophiles » pour leur capacité à résister à des températures et des conditions chimiques hors du commun. L’un de ces organismes, un champignon appelé Fusarium strain flavolapis, se montre particulièrement doué pour transformer des matières organiques.

Mark Kozubal et Thomas Jonas pensent tout d’abord s’en servir pour fabriquer des biocarburants et créent pour cela en 2012 une entreprise appelée Sustainable Bioproducts. Mais le secteur des carburants étant très dépendant des cours du baril de pétrole, les fondateurs choisissent de pivoter vers l’alimentation et rebaptisent leur start-up Nature’s Fynd. « Nous avons mis au point une technique de fabrication de protéines alimentaires », explique Thomas Jonas. « Cela paraît simple à dire, mais cela a pris des années de recherche. Il n’y a pas de manuel pour cultiver un micro-organisme comme le nôtre ! Il a fallu comprendre les conditions – température, humidité, durée, etc. – et les nutriments nécessaires pour obtenir une protéine complète. »

L’engouement pour les aliments plant-based

L’entreprise se finance au départ grâce à des subventions de la National Science Foundation et du département américain de l’Agriculture. Et grâce aux économies de Thomas Jonas : « Je ne me suis pas payé pendant cinq ans ! » En 2018, Nature’s Fynd réussit sa première levée de capital auprès d’industriels, dont le groupe français Danone, et de fonds, dont Breakthrough Energy Ventures, créé par Bill Gates pour combattre le changement climatique. Depuis, le fondateur de Microsoft est devenu un des soutiens les plus visibles de Nature’s Fynd, allant jusqu’à vanter les mérites de ses produits l’an dernier dans l’émission de télévision 60 Minutes.

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« La vraie question n’est pas nécessairement: est-ce que notre protéine ressemble à de la viande ? », explique Thomas Jonas. « Il faut se demander : est-ce que c’est bon ? Et est-ce que c’est meilleur pour la planète ? » © Nature’s Fynd

Le domaine est porteur : les ventes de viandes et de laitages à base de plantes sont passées aux Etats-Unis de 4,8 milliards de dollars en 2018 à 7,4 milliards en 2021. Même Burger King s’y est mis, en s’alliant avec la marque Impossible Foods pour créer un sandwich à la viande végétale ! Nature’s Fynd, qui emploie près de 180 personnes, compte bien profiter de cet engouement, mais cherche aussi à creuser sa différence. « La vraie question n’est pas nécessairement : est-ce que cela ressemble à de la viande ? », explique Thomas Jonas. « Il faut se demander : est-ce que c’est bon ? Est-ce que cela apporte les nutriments dont nous avons besoin ? Et est-ce que c’est meilleur pour la planète ? Nous voulons répondre oui aux trois questions. »

Reste à se faire connaître des consommateurs en construisant une marque et à les convaincre que ces produits sont bons. Le Français a déjà trouvé un soutien de poids : le chef étoilé Eric Ripert, récemment nommé conseiller culinaire de l’entreprise, a mis à la carte de son restaurant new-yorkais Le Bernardin un cheesecake végétalien contenant la protéine Fy. Des sources chaudes de Yellowstone aux tables chics de Manhattan, le micro-organisme découvert par les fondateurs de Nature’s Fynd n’a pas fini de voyager. A l’heure qu’il est, grâce à un partenariat avec la NASA, il flotte à bord de la Station spatiale internationale et pourrait bientôt nourrir les astronautes en partance pour Mars !

 

Article publié dans le numéro de septembre 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.