France-Amérique : Versailles doit une fière chandelle à John D. Rockefeller Junior…
Catherine Pégard : En effet ! On peut dire sans emphase qu’il a sauvé Versailles. Lorsque le philanthrope américain revient au château de Versailles le 30 juin 1923 à l’occasion d’une fête organisée au bénéfice de la restauration du domaine, il est stupéfait de le trouver en si piteux état. Il n’a pas été bombardé mais s’est dangereusement dégradé. La pluie traverse les toitures, l’humidité ronge les grands appartements, les jardins sont en déshérence, les fontaines ne sont plus alimentées… Un an plus tard, dans une lettre très émouvante au président du Conseil [Premier ministre] Raymond Poincaré, Rockefeller propose « avec humilité » de mener les travaux que la France, épuisée par la guerre, ne peut assumer. « Une beauté immense était en train de disparaître et j’en étais accablé », écrira-t-il dans ses mémoires. Il suivra personnellement les travaux jusqu’à leur achèvement en 1936. Versailles aura reçu près de 40 millions de francs.
Quels furent les autres grands mécènes américains ou fondations qui ont contribué à embellir le château ?
Pour rendre hommage à tous, je citerai les American Friends of Versailles, association sœur de la Société des Amis de Versailles qui, depuis sa création en 1998, mobilise les mécènes des Etats-Unis souvent anonymes mais qui témoignent avec constance du lien si particulier entre Versailles et l’Amérique.
Pourquoi le château de Versailles est-il si cher au cœur des Américains ?
Il est rare qu’un lieu symbolise la relation entre deux nations. Les Américains savent que Louis XVI a apporté un soutien décisif à l’indépendance américaine et ne manquent jamais de s’arrêter, dans la galerie des Batailles, devant le tableau de la bataille de Yorktown qui signa la victoire des insurgés américains contre les Anglais. Notre histoire commune est jalonnée de souvenirs partagés à Versailles. On ne sait pas que Fred Astaire est venu chanter pour les GI sur les terrasses au moment de la Libération. On se souvient de l’image iconique de John et Jackie Kennedy accueillis à l’Opéra royal en 1961, par le général de Gaulle. Nous recevons régulièrement les Leaders de la French-American Foundation. La galerie des Batailles s’est même parée des couleurs de Ralph Lauren pour le gala donné en son honneur en 2018. Avant que le coronavirus ne vienne figer la vie du monde, les Américains étaient nos premiers visiteurs étrangers (16 %). Pour la Normande que je suis, il y a, à Versailles, une présence américaine qui n’est pas sans évoquer celle qui perdure sur les plages du Débarquement.
Aujourd’hui, quelle est l’implication des American Friends of Versailles dans l’entretien et la restauration permanente des lieux ?
Vingt ans après la tempête qui a ravagé le parc de Versailles, le 26 décembre 1999, nous avions décidé de mettre, cet été, l’accent sur ces jardins dont on oublie souvent qu’ils sont le plus grand musée de plein air du monde. Les American Friends ont accompagné leur renaissance pendant tout ce temps. Cette année, ils participent à la restauration du bosquet de la Reine, l’un des plus iconiques de Versailles. Après avoir été l’un des lieux de promenade favoris de Marie-Antoinette, à l’écart du monde, il a été le théâtre de la sinistre affaire du collier de la reine avant de s’abîmer lentement au fil des ans. Nous avons décidé d’en retrouver la richesse végétale autour des fameux tulipiers de Virginie, les arbres préférés de la reine. Ce bosquet sera ainsi symboliquement dédié à l’amitié franco-américaine.
Vous a-t-on déjà proposé de dupliquer certaines pièces ou œuvres pour les installer outre-Atlantique ?
On pourrait dire que Versailles est inscrit dans le paysage américain ! Les architectes ont été inspirés par les symétries et l’échelle de Versailles. Je pense au plan de la ville de Washington ou à la grandeur du Capitole. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, le Petit Trianon a souvent été copié par les particuliers. J’ai encore accueilli l’an dernier un Américain de Californie qui voulait en comparer le plan avec celui de sa demeure. Aujourd’hui, Versailles reste pour les Américains le symbole de l’art de vivre à la française, jusque dans la gastronomie. Mais pas seulement ! Les plus jeunes manifestent un grand intérêt pour les métiers qui, du fontainier au doreur, du jardinier à l’ébéniste, font la particularité de ce château et inspirent la création contemporaine.
Versailles: From Louis XIV to Jeff Koons de Catherine Pégard, Assouline, 2020. 234 pages, 895 dollars.
Article publié dans le numéro d’août 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.