Septième film du réalisateur Philippe Faucon, qui a passé son enfance en Algérie et au Maroc, Fatima pose la question de l’intégration et de l’accueil réservé aux émigrés en France. A travers le portrait de trois femmes : Fatima, femme de ménage et véritable mère courage, qui élève seule ses deux filles, Nesrine — étudiante en médecine — et Souad — collégienne en crise d’adolescence —, le cinéaste interroge les paradoxes de la société française vis-à-vis de son histoire migratoire, questionne le rapport à l’Autre et pose la délicate question de la barrière linguistique.
France-Amérique : Votre film montre la France comme un club fermé où la langue française constitue une difficultés supplémentaire à l’intégration.
Philippe Faucon : Les problèmes de langue sont cruciaux dans l’expérience des immigrés. Souvent, ils parlent une langue d’origine que leurs enfants ne maîtrisent pas ou à peine : ils la comprennent mais ne la parlent pas bien et, dans le cas de l’arabe, bien souvent ne la lisent ni ne l’écrivent. Les émigrés de première génération maîtrisent difficilement la langue du pays dans lequel ils vivent désormais. Ce rapport à la langue est au cœur des livres de Fatima Elayoubi dont le film est inspiré. La Fatima réelle du film est venue du Maroc en France avec ses deux filles. Elle ne parlait pas le français. Femme de ménage, elle n’a pas eu d’accès simple à l’alphabétisation et s’est retrouvée comme coupée de ses filles avec lesquelles elle ne pouvait plus communiquer le fond de sa pensée. J’ai voulu faire un film de son histoire.
Dans les pays dits terre d’immigration — comme le continent américain où la population est le résultat de vagues successives de migrants —, l’immigration est parfois perçue comme une richesse. Auriez-vous pu imaginer un scénario comme celui de Fatima se déroulant aux Etats-Unis ?
Le scénario aurait pu être similaire, avec des particularités américaines. Fatima serait sans doute issue d’Amérique du Sud. L’écart entre l’espagnol et l’anglais, qui est une langue universelle, est sans doute moins grand qu’entre l’arabe et le français mais la difficulté est toujours là. Concernant la richesse et l’importance des immigrés, il y a quelques années, j’étais à San Francisco et il y avait une grève générale des femmes de ménage et des employés à la plonge dans les restaurants. Le bon fonctionnement de tout un tas de services était fortement perturbé en raison de cette grève. On s’est apercu à quel point le pays avait besoin de cette main-d’œuvre immigrée. Mais tout n’est pas rose non plus en Amérique où il existe aussi des discriminations. Vu de France, les meurtres répétés d’Afro-Américains par la police par exemple sont effrayants. Un point positif, en France comme aux Etats-Unis, c’est que certains enfants d’immigrés accèdent aujourd’hui à des métiers que n’auraient pas pu exercer leurs parents.
Dans le même temps, vous mettez en scène une forme d’intégration réussie. S’agissait-il de montrer que l’échec n’est pas une fatalité ?
En effet, ce n’est pas qu’une histoire d’échecs. Le film montre bien les grandes difficultés rencontrées par les candidats à l’intégration mais l’histoire originale de Fatima Elayoubi est faite aussi de réussites. La fille aînée réussit des études brillantes de médecine grâce à chaque centime économisé par sa mère sur des ménages. Ce sont des études extrêmement difficiles, longues et chères. Très austères aussi, puisqu’il faut s’enfermer huit heures par jour dans sa chambre et avaler des cours en continu. Les étudiants comme Nesrine sont en quelque sorte condamnés à réussir, à accepter d’énormes efforts et sacrifices sans jamais se plaindre. La jeune génération est en partie désabusée, mais il y a aussi chez elle un désir de ne pas subir ou accepter que ces difficultés soient une fatalité. Sans tomber dans l’optimisme béat, il y a là une bonne raison de rester optimiste.