Le Français André René Roussimoff, décédé en 1993 et adulé aux Etats-Unis comme le plus grand catcheur de l’histoire, est un personnage auréolé de mystère. Dans un documentaire diffusé sur HBO à partir du 10 avril, le réalisateur américain Jason Hehir brosse un portrait intimiste de celui que l’on surnomme « André the Giant ».
Vingt-cinq ans après sa mort, André Roussimoff continue d’impressionner. Son physique — 2,24 mètres, 235 kilos — et son palmarès — vingt-sept ans de carrière, plus de 5 000 combats — le placent dans le folklore américain au même rang que les héros populaires Paul Bunyan et Davy Crockett.
« Notre culture apprécie ce genre de récits extraordinaires », explique le réalisateur Jason Hehir, primé pour son documentaire sur le basket The Fab Five (2011). « J’ai entendu beaucoup d’histoires à propos d’André, mais la plupart sont fausses. Mon objectif n’est pas de raconter l’histoire d’André the Giant, le personnage de foire, mais celle d’André Roussimoff, l’être humain. »
La naissance du géant
André Roussimoff est né à Molien, un village sur la Marne entre Meaux et Château-Thierry, en 1946. Vite repéré pour son physique, il commence une carrière de catcheur professionnel, d’abord à Paris, puis en Angleterre et au Japon. Le 1er juin 1971, il livre son premier combat en Amérique du Nord, dans la banlieue de Montréal. Le Français a pris le nom de scène « Géant Ferré », en référence à un héros de la Guerre de Cent Ans, mais les prospectus québécois annoncent « le géant des Alpes françaises ».
Le surnom est resté. Deux ans plus tard, le Français monte sur le ring au Madison Square Garden de New York. La foule acclame « André the Giant », le bûcheron à la force surhumaine élevé dans la montagne. André endosse son personnage : jusqu’à sa mort, il affirmera qu’il est né à Grenoble, la ville des Alpes populaire aux Etats-Unis depuis les Jeux Olympiques d’hiver de 1968. Un mensonge que sa page Wikipédia continue d’entretenir.
En raison de son gabarit, André était souvent engagé pour des « battles royal », des combats où il affrontait plusieurs adversaires.
Le lutteur devient une attraction et le mythe dépasse la réalité. Avant le câble et avant YouTube, les fans n’ont accès aux catcheurs que via d’obscures magazines. En attendant que le spectacle ne passe en ville, ils partagent les rumeurs. Le Géant aurait deux cœurs et deux rangées de dents. Il aurait bu 106 cannettes de bière en une soirée. Il aurait terrassé vingt adversaires pendant un combat. Sa tignasse, sa voix caverneuse et son anglais rudimentaire entretiennent la légende.
Un colosse aux pieds d’argile
Au début des années 1980, la fédération mondiale de catch, ou WWF (et aujourd’hui WWE), se professionnalise. L’avènement du câble puis de la télévision par satellite permet la diffusion des combats sur l’ensemble du territoire. C’est « l’âge d’or » du catch professionnel aux Etats-Unis. André devient le premier Français à décrocher le titre de champion du monde des poids-lourds. Il apparaît en parallèle dans le clip de « The Goonies « R » Good Enough » de Cyndi Lauper (1985) et dans le film The Princess Bride de Rob Reiner (1987).
André Roussimoff, Robin Wright et Wallace Shaw dans le film The Princess Bride. © 20th Century Fox/Kobal/Rex/Shutterstock
Mais la « Huitième Merveille du Monde » souffre. Il dépasse les deux mètres dès l’adolescence et devient rapidement trop grand, trop gros pour le monde qui l’entoure. « Tout était inconfortable pour lui », commente Jason Hehir, qui a interrogé vingt-cinq proches d’André Roussimoff dans le cadre de ses recherches. « Aucune fourchette, aucun couteau, aucune chaise, aucun lit, aucune salle de bain n’était adaptée à un homme de cette taille. »
Apparaissent à l’écran Antoine et Jacques Roussimoff, la maison aux volets verts où ils ont grandi. Dans la cuisine, la caméra se rapproche de la chaise de leur frère, réalisée sur mesure par le menuisier du village. André chaussait du 59. Dans l’avion qui l’emmenait régulièrement au Japon, sa carrure l’empêchait d’utiliser les W.C. ; il faisait ses besoins dans un seau. « André était aussi célèbre que Mohamed Ali, mais Ali pouvait revêtir un trench-coat et une casquette » pour passer inaperçu, observe l’historien du catch David Shoemaker, interviewé dans le documentaire. « André ne pouvait ne pouvait pas se cacher. »
Le dernier combat
Lorsqu’il n’est pas sur la route ou sur le ring, le Français vit dans la petite ville d’Ellerbe, en Caroline du Nord, où il a acheté un ranch. Les collines et les champs lui rappellent sa région natale. Loin des fans et des caméras, le colosse oublie sa maladie. Atteint d’un rare trouble de la croissance, il continue de grandir à une vitesse qui met son cœur et ses articulations en danger. Les nombreuses opérations qu’il doit subir l’éloignent du ring.
Le « combat de Caïn et Abel » : André Roussimoff affronte Hulk Hogan en 1987. © WWE
Le 29 mars 1987, André Roussimoff affronte Hulk Hogan lors du match Wrestlemania III à Pontiac, dans le Michigan. Le « combat de Caïn et Abel » est suivi en direct par un million de fans. Le colosse tient à peine debout, il se cramponne aux cordes. Son adversaire retient ses coups. André s’incline. C’est sa première défaite en quinze ans — un record à ce jour — et la fin de sa carrière professionnelle. Il meurt six ans plus tard d’une crise cardiaque dans sa chambre, à l’hôtel de la Trémoille à Paris.
« André n’avait pas besoin de se déguiser, de se maquiller ou d’enfiler une étrange combinaison pour se démarquer des autres catcheurs », se souvient le journaliste américain Terry Todd, auteur d’un portrait du géant publié dans le magazine Sports Illustrated en 1981. « Il était unique ; il était à la fois un être humain et une créature mythologique. »
Sortie américaine : 10 avril (streaming à partir du 11 avril)
Réalisateur : Jason Hehir
Distributeur : HBO
Durée : 85 min[:]