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Guy Martin : aux racines de la cuisine française

Qui sont les paysans français ? Comment cultivent-ils des produits de qualité ? Et surtout, comment les cuisiner ? Chaque semaine sur TV5MONDE USA, l’émission Epicerie Fine du chef Guy Martin, propriétaire du restaurant Le Grand Véfour à Paris, part à la rencontre de passionnés de terroir et de gastronomie pour revenir aux racines de ce qui fait un bon plat : des ingrédients de qualité.
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© Michel Langot

France-Amérique : Quel message souhaitez-vous faire passer dans cette émission ?

Guy Martin : Je suis d’origine paysanne ; mes grands-parents étaient des paysans de la montagne, en Savoie. Il me semble donc intéressant de mettre en valeur ce milieu, tous ces hommes et ces femmes qui travaillent pour nous offrir le meilleur et permettent aux chefs d’avoir accès à des produits exceptionnels pour de créer une cuisine du même niveau. Sans eux, on n’existerait pas. Chaque épisode commence donc par un « itinéraire paysan » qui parle d’agriculteurs, de pêcheurs, de viticulteurs qui œuvrent dans un environnement pas toujours facile. Il y a aussi une rubrique sur l’histoire d’un produit, d’une recette, d’une tradition, d’un lieu ou parfois même d’une fête.

L’émission existe depuis 2011. Continuez-vous à découvrir de nouveaux produits, de nouvelles façons de cultiver ?

Evidemment ! En dix ans, certains ont arrêté et d’autres ont relancé des exploitations. C’est une découverte sans fin, car le produit est l’âme de la personne qui le travaille ! Il y a aussi des nouveautés : le safran, qu’on produisait en Savoie jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, avait disparu et des jeunes ont récemment décidé de reprendre le flambeau. Dans le pays Cathare, dans le sud-ouest de la France, un riziculteur et un producteur de mozzarella viennent de s’installer. On trouve aussi des produits qu’on ne pensait pas avoir chez nous, comme le shiso, une herbe japonaise.

Votre émission a-t-elle évolué au regard des préoccupations environnementales ?

Dans la rubrique « L’écologie en action », on s’intéresse aux initiatives locales pour sauvegarder la biodiversité. On montre les initiatives locales portées par des associations et des chercheurs. On est par exemple partis dans le massif des Maures, entre Hyères et Fréjus, avec le naturaliste Vincent Blondel, et dans le massif du Vercors pour montrer les coqs tétras lyre, une espèce en danger. Cela fait des années qu’on travaille en bio ou en culture raisonnée, et sur des circuits courts.

Chaque émission se termine par une recette que vous créez à partir des produits évoqués. Comment procédez-vous ?

Il m’arrive de partir d’un dessin. Quand je vois un produit, il me parle, il me dit ce avec quoi il a envie d’être accompagné ! Avant de réaliser la recette, elle est donc déjà prête et goûtée dans ma tête, j’en connais les textures et les saveurs. Y a-t-il assez d’amertume ? Faut-il davantage d’acidité ? Quelle va être la longueur en bouche ? La finale ? La croustillance ?

Est-il difficile de vulgariser ces gestes pour que n’importe qui dans le public soit capable de les reproduire ?

J’ai écrit beaucoup de livres, certains à destination des professionnels et d’autres pour le grand public, dans lesquels il fallait être le plus pédagogue possible. J’ai aussi donné des cours de cuisine au Japon, et même lorsqu’on enseigne à des chefs, il faut expliquer certains gestes qu’ils ne connaissent pas. Vulgariser me semble donc naturel. Cela ne veut pas dire qu’il faut se forcer à supprimer des étapes, mais plutôt qu’il faut en ajouter.

Vous avez commencé votre carrière comme pizzaiolo, à 17 ans. A quelles transformations de la cuisine française avez-vous assisté au cours de votre carrière ?

La cuisine française, comme l’art, est toujours en ébullition. Certaines prises de conscience ont eu lieu et on essaie désormais de se sourcer le plus près possible de là où on est, de recycler, de produire moins de déchets. On s’est rendu compte de la rareté des produits, car nous sommes plus nombreux que jamais sur terre, et cette prise de conscience mondiale rejaillit forcément sur notre pratique. Par ailleurs, les grands classiques d’Escoffier ont évolué : les sauces sont devenues plus légères, à base de légumes. Utiliser davantage de légumes n’est cependant pas un problème, ils sont déjà au cœur de ma cuisine. Ce sont des produits à part entière, au même titre que la viande, et cela fait quinze ans que je crée des menus végétariens pour la première classe d’Air France !

Comment concevez-vous votre métier ?

Les titres ne sont pas la finalité. Le véritable enjeu, c’est de prendre du plaisir dans son métier, en pensant à ses clients et en donnant de l’amour. La cuisine est un métier de partage, un langage. Quand je cuisine un poisson, j’ai en tête le ressac et je sens l’iode. Vient-il de la mer Méditerranée, de l’Atlantique ou de la Manche ? Quand l’arrière-saison arrive, je pense à ceux qui ont biné ces pommes de terre des Alpes qui sentent la châtaigne. C’est à chaque fois un voyage dans le temps et dans l’espace.


L’émission Epicerie Fine est diffusée deux fois par semaine sur TV5MONDE USA.