La France et le vin, quelle histoire ! Une locution française courante indique bien le rôle social de cette boisson dans le pays du saint-émilion et du chablis : « vin d’honneur ». « Demande-t-on de l’honneur à l’eau, au whisky, au pastis, à la Kronenbourg, au bloody mary ? », relève avec l’espièglerie qu’on lui connaît Bernard Pivot dans son Dictionnaire amoureux du vin (2006).
Dans Mythologies (1957), Roland Barthes écrit que « le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre », comme « une boisson-totem ». Il est l’équivalent du thé chez les Anglais et de la bière chez les Allemands. Quelque 80 % des adultes en boivent. La consommation annuelle moyenne, plus de 44 litres par personne et par an (contre environ 11 litres aux Etats-Unis), bien qu’en recul constant, reste la plus élevée au monde (si l’on excepte le Vatican : plus de 50 litres par personne et par an !). Il faut dire aussi que ce n’est pas l’offre qui manque : la France est, après l’Italie, le deuxième producteur mondial en volume (environ 4,5 milliards de litres chaque année, dont 55 % de rouge, 25 % de blanc et 20 % de rosé).
Signe de son importance dans la culture française, la richesse du vocabulaire familier et de l’argot qui lui sont afférents. Pinard, picrate, picton, mais aussi vinasse, bistrouille, piquette, bibine (des vins de mauvaise qualité) ou encore jaja et rouquin (pour le rouge) sont parmi les plus courants.
Pourtant, la France n’est en rien le berceau de la viticulture. Laquelle, selon toute vraisemblance, est née dans le Caucase du Sud il y a plus de 6 000 ans avant Jésus-Christ. Tout indique que la vinification a été introduite par les Grecs dans la région de Massalia (la future Marseille) vers 600 avant J.-C. A l’époque, les Gaulois consommaient surtout de l’hydromel et de la bière. Ce n’est qu’avec la colonisation romaine qu’ils se convertirent massivement au vin. Légende ou réalité historique, certains ont avancé que le rouge aurait eu d’autant plus de succès qu’il se substituait au sang dans les cérémonies religieuses celtiques, où les sacrifices humains n’étaient pas rares.
Les Gaulois commencèrent par l’importer, notamment de la péninsule italienne, avant de devenir eux-mêmes d’excellents viticulteurs. Limité au départ aux zones méridionales (Languedoc, Aquitaine, couloir rhodanien), le vignoble s’étendit peu à peu vers le nord, notamment dans l’Ile-de-France, qui demeura longtemps, on l’oublie, l’une des grandes régions viticoles françaises. Parallèlement, les techniques locales de vinification progressaient. Une évolution décisive fut le passage de l’amphore au tonneau et à la cuve en bois. Il faudra attendre le XVIIe siècle pour voir se dessiner les grands crus dans le Bordelais, en Bourgogne et en Champagne. Et c’est au XIXe siècle que la viticulture française connaîtra son apogée avec une superficie de 2,3 millions d’hectares (750 000 aujourd’hui).
Avec le christianisme, le vin avait acquis une nouvelle dimension sacrée. Dans la parabole des vignerons de Marc, Dieu n’est-il pas présenté comme le maître de la vigne ? La sève qui coule dans cette dernière étant l’Esprit, le vin représente la connaissance. Jésus lui-même avait fait du vin un symbole de vie et de communion. Voilà pourquoi les vignerons ont de longue date placé leur activité sous la protection de grandes figures du christianisme. Plus d’une trentaine de saints protecteurs ont été recensés. Saint Martin, saint Vincent, saint Nicolas, saint Amand, saint Rémy, sainte Geneviève sont de ceux-là.
Vin de messe d’un côté, beaujolais et muscadet au zinc des bistros de l’autre. Ou encore champagne lors des cérémonies festives. La boisson du dieu romain Bacchus est omniprésente dans le quotidien des habitants de l’Hexagone. Aux grandes figures de l’histoire nationale est souvent associé un cru particulier. A la naissance d’Henri IV, à Pau en 1553, son grand-père Henri II, roi de Navarre, lui aurait frotté les lèvres d’une gousse d’ail imbibée de quelques gouttes de jurançon. De quoi assurer la célébrité de ce vin blanc produit dans la région natale du futur souverain, le Béarn. Lors d’un voyage dans le Jura, le même Henri IV fut séduit par le vin d’Arbois et en fit ramener à Paris. Il s’était mis en tête que ce vin était de nature à émoustiller les dames de la cour.
En 1693, Louis XIV, souffrant de multiples maux, se vit prescrire par son médecin du bourgogne à la place du champagne – rouge et sans bulles à l’époque – que buvait jusqu’alors sans modération le monarque. Inutile de dire qu’un tel revirement insuffla un essor considérable au bourgogne. A l’occasion d’un séjour en Côte-d’Or, Bonaparte, qui n’était encore qu’un jeune officier, découvrit le gevrey-chambertin. Des caisses de ce grand cru de Bourgogne l’accompagneront dès lors dans ses campagnes, de l’Espagne à la Russie en passant par l’Autriche et l’Egypte. Jusqu’à ce qu’à Sainte-Hélène – ses geôliers anglais n’ayant pas accédé à ses souhaits – il soit obligé de boire du bordeaux. Comble du mauvais goût aux yeux des connaisseurs, l’empereur avait l’habitude de couper son vin avec de l’eau.
On se demande parfois : le vin est-il de gauche ou de droite ? Du côté du consommateur, tout dépend, évidemment, du cru, de l’appellation, du millésime, bref du prix de la bouteille. Si on a parfois associé le vin à la contestation sociale voire à la révolution, c’est pour une bonne part en raison de la place des vignerons dans la société française. Longtemps, ils ont constitué une part importante de la paysannerie, souvent la plus pauvre. Avec un ou deux hectares de vignes, et au prix d’un très dur labeur, on peut faire vivre une famille. Ce qui n’est pas le cas dans l’élevage ou la céréaliculture. A maintes reprises, les vignerons se sont insurgés contre les pouvoirs en place, notamment dans le Languedoc-Roussillon, la première région productrice du pays. Ce qui a valu à cette dernière le surnom de « Midi rouge ».
Pour expliquer l’engouement du peuple de France pour le vin, il faut se souvenir que, jusqu’au XXe siècle, l’eau potable était rare, surtout dans les villes. Boire du vin présentait moins de risques. Les gens étaient également convaincus que c’était était une boisson fortifiante. On le recommandait aux enfants – dès 6 ou 7 ans ! – au motif qu’il favorisait leur croissance et stimulait leur intellect. Il fallut attendre 1956 et le gouvernement de Pierre Mendès France pour que sa distribution soit interdite aux moins de 14 ans dans les cantines scolaires !
Article publié dans le numéro d’octobre 2021 de France-Amérique. S’abonner au magazine.