« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », chantait Aznavour. C’est justement la phrase qu’a choisi Jean-Pierre Laffont pour commencer la préface de son dernier livre. Par nostalgie ? Parce que la plupart des vedettes immortalisées en noir et blanc sont décédées ? « Pas du tout », réplique le photojournaliste de 84 ans, célèbre pour ses clichés des gangs du Bronx et des manifestations contre la guerre du Vietnam et co-fondateur des agences Gamma et Sygma. « Sans attaché de presse, maquilleur ou producteur, j’étais seul avec les célébrités. Ce serait impossible de saisir des moments aussi intimes aujourd’hui. »
En octobre 1966, Maurice Chevalier est invité à chanter au bal April in Paris, donné à l’hôtel Waldorf-Astoria de New York. Entouré de ses amis dans sa suite après le spectacle, le roi du music-hall a quitté son habit de scène : il reçoit affalé sur son lit, vêtu d’une robe de chambre à carreaux ! Autre ville, autre atmosphère. En février 1972, André Malraux arrive à Washington D.C. où il doit rencontrer le président Nixon. L’ancien ministre de la Culture est miné par l’alcool et la dépression ; à sa descente de l’avion, on le voit se cramponner à la passerelle, défiguré par les tics nerveux.
Photographe et guide touristique
« J’étais reporter, pas paparazzi », témoigne le photographe. « Je traitais chaque rencontre comme un reportage et les célébrités me faisaient confiance. » C’était avant internet, Instagram et les vols transatlantiques à petit prix. Les vedettes de la chanson, du théâtre et du cinéma s’échangeaient le numéro de téléphone de Jean-Pierre Laffont, à cette époque l’un des rares photographes français aux Etats-Unis.
« La plupart de ces stars voyageaient en Amérique pour la première fois. Elles m’appelaient lorsqu’elles arrivaient et on allait se balader. » Sur une photo en double-page, on découvre ainsi l’acteur Yves Montand au centre de Times Square. Il est neuf heures du matin : il a marché depuis son hôtel sur la 44e Rue et s’est assis sur un banc entre un couple d’amoureux et deux clochards. Il savoure son anonymat et feuillette un tabloïd. « Je ne pourrais jamais faire ça à Paris », confiera-t-il plus tard.
Photo souvenir devant l’Empire State
Inconnues aux Etats-Unis, les stars françaises en profitent pour faire du tourisme. Françoise Hardy veut visiter le MoMA et écouter les musiciens de jazz dans Central Park, le comédien Yves Rénier veut voir St. Mark’s Place, la rue des hippies dans le East Village, et le chanteur Guy Béard, qui a besoin d’une nouvelle guitare, passera deux heures dans un magasin de musique sur la 46e Rue. Jean-Claude Brialy, Nana Mouskouri, Philippe Starck, toutes les stars de passage à New York veulent aussi admirer l’Empire State Building. « C’était la carte postale parfaite ! »
Le portrait de l’acteur Jean-Pierre Cassel devant le célèbre gratte-ciel, pris depuis la terrasse du Rockefeller Center, sera publiée dans le magazine Jour de France. Même l’accordéoniste Yvette Horner, qui assouvit ses « rêves de western » et pose à Nashville avec un chapeau de cow-boy et un gilet à franges, ne résistera pas à une photo souvenir au 70e étage !
La séance photo avec Gilbert Bécaud, en 1966, sera un peu plus compliquée. Le chanteur que l’on surnomme « Monsieur 100 000 volts » ne tient pas en place. Jean-Pierre Laffont a l’idée de le conduire sur le toit de l’hôtel Americana – c’était à l’époque où aucun escalier n’était interdit. « J’ai eu le temps de prendre deux photos de lui alors qu’il s’élançait dans les airs : la deuxième était la bonne ! C’est encore ma photo préférée. » Bécaud, sa célèbre cravate à poix dans le vent, semble léviter devant l’Empire State Building.
Sheila chez les bikers
En quarante ans de carrière aux Etats-Unis, Jean-Pierre Laffont a aussi accompagné le chanteur Serge Lama à Cleveland et rencontré la romancière Marguerite Yourcenar dans le Maine. Il a pris les premières images du navigateur Eric Tabarly, vainqueur en 1976 de sa deuxième course transatlantique, et arrangera une rencontre entre la chanteuse Sheila, venue enregistrer un album de disco à Los Angeles, et un gang de motards barbus !
Autant de souvenirs et d’anecdotes que le photographe et son épouse Eliane Laffont, qui a édité le livre et participé à la rédaction des textes, prennent plaisir à se remémorer. « J’ai eu beaucoup de plaisir à accompagner ces stars à qui j’ai fait découvrir mon Amérique », explique Jean-Pierre Laffont. « Je suis encore ami avec beaucoup d’entre elles. »
Nos stars en Amérique : Cartes postales de Jean-Pierre Laffont de Jean-Pierre Laffont et Eliane Laffont, La Martinière, 2019. Jean-Pierre Laffont présentera son livre à la librairie new-yorkaise Albertine le 12 décembre à 18h30.
Article publié dans le numéro de novembre 2019 de France-Amérique. S’abonner au magazine.