Editorial

La bourse ou la vie : le dilemme du Coronavirus

Faut-il sauver des vies en arrêtant l’économie par le confinement (la position française) ou serait-il préférable de remettre l’économie en route au risque de prolonger et amplifier la pandémie (la position de Donald Trump) ? Les deux, écrit Guy Sorman.
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Deux infirmières devant l’hôpital NYU Langone Health, à Brooklyn, le 26 avril 2020. © Vladislav Borimsky

Nous voici tous, à égalité, toutes nations et classes sociales confondues, exposés à la menace mortelle d’un virus qui n’est pas chinois – les virus n’ont pas de passeport – mais qui nous arrive bien de Chine. Les premiers responsables de cette pandémie sont les dirigeants de la province de Hubei, puis le président chinois, qui par goût du secret et horreur des mauvaises nouvelles, ont dissimulé la vérité à la population puis au reste du monde, pendant environ six semaines. Cette dissimulation aura été tragique et décisive, permettant au virus de s’échapper de son foyer d’origine, la ville de Wuhan, pour infecter toute la Chine puis le reste du monde. A ce mensonge d’Etat se sont ajoutées les dénégations, l’insouciance et l’incompétence des dirigeants occidentaux, comme si la pandémie ne devait concerner que les autres ou – comme osait le dire Donald Trump – qu’elle allait se dissiper d’elle-même, tel un mauvais rhume.

Ensuite, les gouvernements d’Europe et des Etats-Unis, totalement impréparés à une pandémie pourtant prévisible et annoncée depuis deux ans par les experts médicaux, en particulier par le professeur Michael Osterholm de l’Université du Minnesota, se sont enfermés dans un effroyable dilemme : faut-il sauver des vies en arrêtant l’économie par le confinement (la position française) ou serait-il préférable de remettre l’économie en route au risque de prolonger et amplifier la maladie (la position de Donald Trump) ? Ce dilemme rappelle cette vieille expression française, « la bourse ou la vie », le choix relatif offert naguère par les brigands à leurs victimes.

Après en avoir discuté avec des économistes de renom, en particulier Paul Romer, prix Nobel aux Etats-Unis, il me paraît qu’il est possible d’échapper à ce dilemme en adoptant des stratégies autres et plus intelligentes. La priorité reste évidemment de sauver les malades, mais quelle est l’utilité de confiner tout le monde, y compris les personnes en bonne santé et celles déjà immunisées ? En empêchant à peu près tout le monde de travailler, le confinement massif provoque un effondrement de l’économie qui, à son tour, rejaillira sur notre bien-être matériel, psychique et sanitaire.

L’alternative serait de systématiser pour tous les tests d’immunité : au moins une fois par mois jusqu’à l’extinction de l’épidémie et, espérons-le, la mise au point d’un vaccin. Ces tests dits « sérologiques » sont distincts des tests de simple détection du virus actif : ils permettraient de savoir si le patient a déjà eu le Covid-19 et peut reprendre le travail, ce qui serait la seule manière de restaurer l’économie. L’injection d’argent public par les banques centrales et les gouvernements ne procure jamais qu’un soulagement indispensable mais temporaire, surtout pour les chômeurs involontaires. Seul le retour au travail aurait un effet de relance. Il coûterait moins cher de systématiser les tests généraux et périodiques que de distribuer de l’argent à tout va à une population oisive malgré elle.

Les dépenses publiques, outre le financement des tests et de ceux qui les pratiqueront, devraient soutenir la production massive de masques et de vêtements de protection. Que deux grandes puissances industrielles comme la France et les Etats-Unis accumulent un tel retard dans la production d’objets aussi simples est incompréhensible. Ceux-ci devront être mis à la disposition de tous ceux qui travaillent au contact des malades mais aussi des commerçants et des agents du service public en relation avec la population : policiers, caissières, postiers, conducteurs de bus, éboueurs…

Pour accélérer la production de ces équipements de protection, l’innovation devrait être encouragée par des aides publiques et l’autorisation de prix plus élevés pour les équipements les plus novateurs. La crainte, par pruderie anticapitaliste, de récompenser, voire d’enrichir les entrepreneurs innovants, dans les circonstances présentes, serait immorale ; il faut au contraire favoriser l’émulation et faire appel à l’intérêt bien compris de ces innovateurs. Encore une fois, toutes ces mesures coûteraient moins cher aux Etats que de financer le confinement et le chômage involontaire.

Cette nouvelle stratégie – tester, protéger, retourner au travail – implique une évolution des mœurs : il devra apparaître comme normal et civique, dans l’attente d’un vaccin, de se rendre au travail avec un masque (la norme au Japon) et un vêtement de protection. Dans cette nouvelle normalité, envisageons une restriction de nos droits individuels, déjà mis à mal par le confinement. De même que le confinement est obligatoire, il devrait être permis aux opérateurs téléphoniques de signaler sur nos portables (comme en Corée du Sud) que nous sommes en danger si positifs ou non testés, et que nous mettons nos proches en danger si nous ne les prévenons pas.

Cette stratégie alternative pourrait remplacer rapidement le dilemme de la bourse ou la vie, permettant à la bourse et la vie de coexister. Ce serait aussi un terme aux débats pseudo-philosophiques sur le thème « rien ne sera plus comme avant », du bullshit idéologique en forme de posture et en absence de solution.


Editorial publié dans le numéro de mai 2020 de France-Amérique.