Entretien

David McCullough : sur les pas des premiers Américains à Paris

L’historien américain, décédé le 7 août à l’âge de 89 ans, a écrit sur Harry Truman, Theodore Roosevelt, le pont de Brooklyn et le canal de Panama. Il est aussi reconnu pour son livre sur les Américains qui sont venus se former à Paris, la capitale mondiale du savoir au XIXe siècle. Nous l’avions rencontré en 2014, à l’occasion de la parution en français du Voyage à Paris.
[button_code]
David McCullough à Paris. © William B. McCullough

Très populaire aux Etats-Unis et presque inconnu en France, David McCullough est considéré comme le « maître de l’histoire narrative ». Ses recherches le mènent sur les lieux fréquentés par ses sujets. Ses livres, vivants, se lisent comme des romans. Truman (1992) et John Adams (2001) ont été récompensés par deux prix Pulitzer. John Adams a fait l’objet d’une adaptation en série télévisée par HBO et a reçu quatre Golden Globes et treize Emmy Awards. Dans Le voyage à Paris : Les Américains à l’école de la France (1830-1900), il retrace le parcours de la première vague de voyageurs américains qui se rendent à Paris au XIXe siècle. Une expérience française déterminante pour leurs carrières et pour la construction de la future puissance américaine.

A cette époque, la jeune démocratie se rapproche du vieux pays révolutionnaire, qui, de révoltes en coups d’Etat, passe d’une monarchie constitutionnelle au Second Empire, puis aux massacres de la Commune avant de rétablir une république. On suit les espoirs de cette minorité d’Américains venus s’instruire dans la capitale culturelle mondiale, où le vin est moins cher que le lait. Le livre décrit les expériences croisées de l’écrivain James Fenimore Cooper, auteur à succès du Dernier des Mohicans, d’Harriet Beecher Stowe, auteur de La Case de l’oncle Tom, du peintre Samuel Morse, qui rentre chez lui pour inventer le télégraphe électrique, des peintres Mary Cassatt et John Singer Sargent, d’Elizabeth Blackwell, fondatrice du premier hôpital dirigé par des femmes à New York, de l’écrivain et esclave en fuite William Wells Brown et du futur sénateur abolitionniste Charles Sumner. Pour tous, l’expérience est enrichissante et identitaire. Le voyage à Paris permet de mieux saisir le legs français dans l’histoire de la construction américaine.

France-Amérique : D’où vient votre intérêt pour la France, et Paris en particulier ?

David McCullough : Chaque Américain ne peut être qu’impressionné quand il se penche sur ce que nous devons à la France. Certaines choses que nous pensons être intégralement américaines, ne le sont en fait pas du tout. Nous devons mieux comprendre nos racines culturelles. Nous avons souvent beaucoup appris des grandes figures à l’étranger. J’ai été fasciné par ce sujet et adoré écrire ce livre. J’ai débuté mes recherches avec l’étude historique du groupe d’étudiants américains en médecine qui viennent se former à Paris. C’est important de comprendre que l’histoire ne s’intéresse pas seulement à la politique et au domaine militaire. L’histoire, c’est aussi écrire sur l’art, les idées, la musique, l’architecture, tous les domaines. Très souvent, sur le long terme, ce sont les changements dans la culture qui comptent réellement. Les acteurs de ces domaines méritent autant d’attention historique que les hommes d’Etat. Dans mes biographies d’Adams et de Truman et dans mes précédents livres, j’ai abordé les liens franco-américains à propos du canal de Panama, du pont de Brooklyn avec son système de caissons à air comprimé développé en France. La difficulté a ensuite été de sélectionner les informations qui se trouvent finalement dans ce livre. J’avais tellement d’éléments intéressants sur les parcours de chacun de ces Américains que j’aurais pu à chaque fois écrire un livre entier sur leurs vies. En ce moment [en 2014], je me consacre à l’écriture d’un livre sur les frères Wright, pionniers américains de l’aviation. Ils ont aussi passé une partie de leur existence en France.

Pourquoi personne n’a écrit sur les Américains au XIXe siècle à Paris avant vous ?

Je ne comprends pas pourquoi, mais je suis très content que personne ne se soit intéressé à cette histoire avant, me laissant le champ libre ! Je me suis senti pionnier en me servant de sources non étudiées jusqu’à présent.

Comment se sont déroulées vos recherches ?

Le livre représente cinq années de travail. En plus du travail bibliographique, je me suis rendu sur place de nombreuses fois, j’ai effectué les promenades à pied pour, par exemple, vérifier que le trajet d’un appartement à un atelier prenait bien 20 minutes. Je n’ai pas travaillé sur des sources françaises car je souhaitais garder un point de vue strictement américain. Même si certaines sont peu connues en France, toutes ces personnes sont ensuite devenues célèbres dans leurs différentes disciplines. Ils ont envoyé́ des lettres aux Etats-Unis, ils ont écrit des journaux personnels et les ont ramenés en Amérique à leur retour. Leurs archives se trouvent aujourd’hui dans de nombreuses bibliothèques américaines.

samuel-morse-gallery-galerie-louvre-paris-france-terra-foundation
Le peintre Samuel Morse est l’un des héros du Voyage à Paris de David McCullough. On lui doit ce célèbre tableau, La Galerie du Louvre, peint en 1831. Au premier plan, il s’est représenté avec une de ses étudiantes. Au fond à gauche, on retrouve James Fenimore Cooper, autre personnage emblématique du livre de McCullough, accompagné de son épouse et de leur fille. © Terra Foundation for American Art

Aucun Américain de votre livre ne parle français. Quels étaient leurs profils et leurs motivations ?

Non, aucun ne maîtrise le français et c’est une des choses les plus admirables parmi leurs accomplissements. Imaginez ces étudiants en médecine, sans véritables bases académiques, au milieu de milliers d’étudiants à la faculté parisienne, ne parlant pas un mot de cette langue. Sur les centaines qui arrivaient chaque année, je n’ai trouvé aucun exemple d’abandon d’études en France. Tous ont déclaré avoir passé les meilleures années de leur vie à Paris. Les profils sont très divers. Ils avaient un minimum d’éducation et n’avaient pas d’argent pour la plupart, et ils avaient soif de connaissances. Paris était le centre de la culture au XIXe siècle. L’esprit humain et la créativité étaient accessibles et élevés au plus haut rang. Ce n’est pas non plus un conte de fées. De terribles évènements, des révoltes politiques ont lieu dans ces années-là. Les gens voulaient se rendre là-bas car le voyage répondait à un besoin. Très peu se sont installés définitivement en France. Ils étaient d’abord venus chercher quelque chose de valeur pour leurs carrières et pour leur peuple en Amérique. Les Etats-Unis étaient à cette époque en chantier, un Etat en construction. Les écoles de médecine étaient pathétiques, il n’y avait pas d’école d’architecture ou d’école d’art. Il fallait se rendre en France pour apprendre à peindre.

Comment expliquer l’intérêt et la bienveillance des Américains républicains pour un monarque comme Louis-Philippe ou pour l’empereur Napoléon III ?

L’Américain n’aime pas les têtes couronnées et les aristocrates, mais Louis-Philippe était apprécié, grâce à son expérience américaine avant d’accéder au trône. [Le futur roi, en exil pendant la Révolution française, séjourne aux Etats-Unis de 1796 à 1799. Il se rend à Philadelphie, New York, en Virginie et dans la région des Grands Lacs.] Napoléon III était aussi admiré, il parlait couramment anglais et faisait preuve de son intérêt pour le débat d’idées et de modernisme dans le développement urbain et économique.

Le destin de Charles Sumner a-t-il changé le jour où il a observé un étudiant noir à la Sorbonne ?

On ne saura jamais s’il se serait lancé en politique pour la cause abolitionniste sans cette expérience. Mais ce n’est pas seulement une théorie d’historien : il décrit l’impact de cette scène dans son propre journal. Je doute qu’un autre incident l’aurait convaincu de devenir abolitionniste. En Amérique, il n’aurait jamais vu un noir au milieu d’une université, traité de cette façon par tous, habillé de la même façon que ses camarades.

Pendant la Commune en 1870-1871, l’ambassadeur américain Elihu Washburne n’envisage jamais de quitter son poste…

Non, c’est le seul représentant d’un pays majeur qui ne quitte pas Paris. Il risque sa vie tous les jours pour le peuple parisien. Sa description des évènements est l’un des comptes-rendus les plus précieux que nous avons, dans n’importe quelle langue. Personne n’avait étudié ses écrits avant moi.

Les grands mythes français qui perdurent dans l’esprit des Américains sur les arts de la table, la Parisienne, etc. datent-ils de cette période ?

Oui. Les Américains n’aimaient pas seulement Paris, ils appréciaient aussi les Français. Le progrès des traversées transatlantiques, avec l’arrivée des lignes de bateaux à vapeur, a complètement transformé l’expérience du voyage, à la manière de l’aviation moderne aujourd’hui. Ce fut une révolution technique qui a permis à de plus en plus d’Américains de venir à Paris et à ces mythes de s’enraciner.

Pourquoi l’histoire narrative, dont vous êtes une figure majeure, est-elle si peu courante en France ?

C’est une bonne question, je ne connais pas véritablement la réponse. C’est ce que j’écris naturellement, dans la longue tradition américaine. L’idée n’est pas simplement d’écrire à destination d’autres historiens, mais pour le grand public, afin qu’il connaisse ce qui nous a précédé et puisse bénéficier de ces expériences.

 

Entretien publié dans le numéro de septembre 2014 de France-Amérique. S’abonner au magazine.