Albertine Diaries

Fatoumata Kebe : le Texas

Chaque mois, France-Amérique donne la parole aux pensionnaires de la Villa Albertine, la nouvelle institution culturelle du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, qui propose un programme annuel de 60 résidences artistiques et culturelles aux Etats-Unis. Ce mois-ci, l’astrophysicienne Fatoumata Kebe, qui a passé près de deux mois au Texas entre Houston, Marfa, Fort Davis et Big Bend. Spécialiste des débris spatiaux au sein de la start-up française SpaceAble, elle étudie l’évolution de l’observation spatiale, menacée par la pollution lumineuse et la prolifération des corps en orbite : satellites Internet ou météo, fragments de lanceurs et autres déchets en tout genre.
[button_code]

Peu à peu, les puits de pétrole et de gaz naturel ont laissé place à un paysage de western fait de collines et d’herbes sèches. Une heure et demie de vol pour rallier le Midland International Air & Space Port à partir de Houston, puis trois heures de route à travers le désert du Trans-Pecos, et j’arrivais enfin à Marfa, ville d’art et d’artistes construite autour d’une rue unique. C’est de nuit que la petite bourgade a pris pour moi toute sa signification : la pollution lumineuse – l’un des thèmes de mon séjour au Texas – y est bien moindre qu’à Paris et le ciel est inondé d’étoiles.

J’ai poursuivi mes recherches à une soixantaine de kilomètres au nord de Marfa, à l’observatoire McDonald, qui possède les télescopes de recherche parmi les plus puissants au monde. Dans cette zone extraordinaire, pourtant éloignée des habitations de Fort Davis, subsiste une forme de pollution lumineuse : celle provoquée par les satellites artificiels. On en recense aujourd’hui près de 7 500 en orbite basse (jusqu’à 2 000 kilomètres d’altitude), mais leur nombre augmente sans cesse, notamment en raison des constellations déployées par l’entreprise américaine SpaceX. D’ici 2030, 40 000 nouveaux satellites de télécommunication Starlink flotteront au-dessus de nos têtes. Autant de corps artificiels, visibles à l’œil nu, qui réfléchissent la lumière du soleil et polluent les données recueillies par les observatoires. Un autre obstacle gêne le travail des astronomes au Texas : la lumière émise par la pratique du flaring, ces hautes flammes jaunes qui s’échappent constamment des exploitations de pétrole et de gaz naturel.

fatoumata-kebe-astrophysicienne-astrophysicist-texas-marfa-stars-etoiles-villa-albertine
Le ciel étoilé au-dessus de Marfa, au Texas. © Fatoumata Kebe

McDonald a récemment fait la demande du label « Réserve internationale de ciel étoilé » auprès de l’association américaine International Dark Sky. Cette reconnaissance, dont bénéficient déjà en France le pic du Midi de Bigorre et les parcs naturels des Cévennes, du Mercantour et de Millevaches, témoigne d’une qualité de ciel nocturne exceptionnelle et engage les territoires environnants à mener des actions de réduction de la pollution lumineuse. Le ciel étoilé de trois comtés texans, dont le parc national de Big Bend, et d’une partie du nord du Mexique serait ainsi protégé, et deviendrait la seconde réserve de ce type aux Etats-Unis (le centre de l’Idaho a obtenu ce label en 2017) et la plus grande au monde.

Les étoiles ont été au cœur de ma résidence au Texas, qui donnera bientôt naissance à un podcast. Et pour cause : souvent invisibles au commun des mortels, elles forment cependant plus de 90 % des éléments qui constituent notre corps. « L’azote dans notre ADN, le calcium dans nos dents, le fer dans notre sang, le carbone dans nos tartes aux pommes ont tous été fabriqués dans le cœur d’étoiles qui s’effondrent », disait Carl Sagan, astronome américain et grand médiateur scientifique. « Nous sommes faits de poussières d’étoiles. »

 

Article publié dans le numéro de mars 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.