2001-2021

Quatre Français se souviennent de leur 11-Septembre

Mireille Guiliano, Michel Orengo et Julien Farel vivaient à New York, Aymeric Advinin était de passage. Ces quatre Français ont en commun d’avoir été présents le 11 septembre 2001. A l’occasion des vingt ans de cette attaque terroriste, ils racontent leurs souvenirs et comment la catastrophe a changé leur vie.
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Manhattan, le 11 septembre 2001. © Patrick Sison/AP

Impossible d’oublier une telle journée, même pour ceux qui n’étaient pas dans les tours jumelles du World Trade Center. Si les terroristes du 11-Septembre voulaient toucher le symbole de la puissance américaine, leurs attaques ont aussi eu un profond impact sur la vie de nombreuses communautés vivant à New York, dont celles des 80 000 Français expatriés et des milliers d’autres qui visitaient la ville cette semaine-là.

Ce mardi matin, Michel Orengo, alors en charge du développement d’une nouvelle start-up chez AIG, devait commencer un peu plus tôt que d’habitude afin d’accueillir deux nouveaux employés dans les bureaux au 80 Pine Street, à quelques minutes du Word Trade Center. Mais difficile de se presser lorsqu’on fête ses 34 ans et que l’on revient tout juste de quelques jours de vacances dans les Bermudes. « Ma femme et mon fils de deux ans avaient planté une bougie dans mon croissant », se souvient ce Français originaire d’Antibes. « Je l’ai soufflée et je suis parti. »

L’impuissance face au désastre

Au moment du premier impact sur la façade nord de la tour nord, à 8h46, Mireille Guiliano, alors PDG de Veuve Clicquot aux Etats-Unis (elle publiera quelques années plus tard le best-seller French Women Don’t Get Fat), allait prendre son petit déjeuner avec son mari, avant de partir prendre un avion pour Paris. « On a vu le feu dans la tour. A la radio, personne ne savait ce que c’était, alors on a allumé la télévision. » Au même moment, à travers l’immense baie vitrée de son appartement sur la 14e Rue, donnant sur le sud de Manhattan, le couple assiste impuissant à l’explosion du Boeing 767 du vol United Airlines 175 dans la tour sud. Il est 9h03. « C’était horrible. J’ai tout de suite pensé à tous les jeunes commerciaux de l’entreprise qui étaient en voyage. Je me sentais responsable. J’ai décidé de partir au bureau, alors situé sur la 55e Rue. »

Au niveau de la station Brooklyn Bridge, dans le métro sur la ligne 4, Michel Orengo entend retentir des sirènes, avant que le conducteur annonce qu’aucun train ne s’arrêtera à Fulton Street, au pied du World Trade Center, à cause d’une situation d’urgence. « Je suis sorti à l’arrêt Wall Street vers 9h20 et il y avait plein de listings informatiques enflammés qui volaient autour de moi », raconte-t-il. « En levant la tête, je me suis rendu compte qu’il y avait le feu dans une des tours. Je me rappelle m’être dit que c’était bizarre, étant donnés tous les système de sécurité qui existent. »

Serein, il se rend à son bureau, situé au 4e étage, sans imaginer que deux avions commerciaux ont déjà frappé les tours jumelles. Ce sont ses collègues qui lui apprennent la nouvelle. Internet ne fonctionnant pas, l’un des petits nouveaux demande à un de ses amis au bout du fil de mettre le téléphone à côté de la télévision : « On avait CNN sur le haut-parleur », ajoute Michel. « Et moi, j’étais au téléphone sur une autre ligne en train de me marrer avec un ami. Je ne réalisais pas. »

Au fil des minutes, le jeune papa décide de sortir, décidé à se faire un avis sur la situation afin de pouvoir ensuite donner des consignes aux membres de son équipe. Il remonte Maiden Lane, en direction de Broadway, afin de constater les dégâts, mais arrivé au niveau de la Federal Reserve Bank, la première tour s’écroule. « Tout le monde criait et une énorme masse noire de poussière est arrivée. Je me suis réfugié dans le hall d’un immeuble de bureaux lorsque les gens ont commencé à fermer les portes pour empêcher la fumée d’entrer. » Certains toussent, d’autres pleurent, le lobby est plein. Michel décide alors de sortir, la chemise sur le visage, en direction de l’East River. Grosse erreur.

La seconde tour tombe

« Je marchais sur cinq centimètres de poussière », écrira-t-il plus tard dans un courriel à ses proches. « J’ai tenté de rentrer dans un autre immeuble mais toutes les portes étaient fermées. Alors j’ai fait comme les autres, j’ai marché avec la foule vers le nord dans le nuage de poussières qui nous piquaient les yeux. A Chinatown, j’ai entendu la seconde tour tomber. Je ne me suis pas retourné. »

Après une heure de marche, sans trouver de taxi, Mireille Guiliano arrive enfin à son bureau. « Il n’y avait pas grand monde et les personnes que j’arrivais à joindre par téléphone étaient affolées. La journée fut atroce et j’ai très vite compris que j’allais temporairement devenir psychologue pour aider mes collègues paniqués. C’est une chose à laquelle on n’est jamais préparé. »

A l’hôtel Pierre, sur la Cinquième Avenue près de Central Park, où il loue alors deux chambres en guise de salon de coiffure, Julien Farel voit à la télévision les images des deux avions percutant les tours. « Avec mon assistant, on a annulé tous les rendez-vous de la journée et on a rapidement cherché à savoir comment nos proches allaient. » Après avoir renvoyé son bras droit chez lui, il décide d’aller faire un tour en moto dans Manhattan. « Tout était noir : c’est comme si tout c’était arrêté et que New York avait perdu son âme. »

Au nord de la ville sur la 87e Rue, dans une chambre de l’hôtel Belnord, Aymeric Advinin et ses deux amis se réveillent au son des commentaires choqués des journalistes à la télévision. « On n’y a pas cru au début ; on était persuadé que c’était la bande annonce du film Spider-Man. » Le groupe de copains, tout juste la vingtaine, est arrivé de Lyon quatre jours plus tôt pour faire le voyage de leur vie. Une de leurs premières visites a été le dernier étage de la tour nord du World Trade Center. « Comme des touristes sans le sous », se souvient Aymeric, « on est monté sans gêne au restaurant Windows on the World [aux 106et 107e étages] pour profiter de la vue ».

Lorsque les informations les ramènent à la réalité, les trois étudiants en école de journalisme s’équipent de leur caméra, sortent de l’hôtel et marchent vers le sud de Manhattan, à contre-courant de la foule en état de choc. « Plus on avançait, plus le périmètre de sécurité était important », raconte celui qui travaille aujourd’hui pour Le Dauphiné Libéré en région lyonnaise. « On savait ce qui se passait grâce aux radios des taxis qui avaient laissé leur portes ouvertes. A vingt rues de l’impact, on voyait de gros champignons de fumée. Je me rappelle d’une femme qui avait disposé sur une chaise pliante des gobelets remplis de jus de pomme pour les gens qui arrivaient couverts de cendres. » Tentant sans succès de franchir les barrages de police, le trio décide de rebrousser chemin. « Au départ, on voulait aller au cinéma mais tout été fermé. A Times Square, on a acheté des cartes postales des tours jumelles et ce n’est que le soir qu’on a pris conscience de l’ampleur de la catastrophe. »

« La mort dans tous les quartiers »

Dans les jours qui ont suivi, chacun a tenté de faire face à l’adversité. Comme ils l’avaient prévu, Aymeric et ses deux amis sont partis le lendemain pour Montréal, en récupérant leur voiture de location dans le New Jersey, non sans un certain soulagement. « On ne savait pas comment traverser l’Hudson River et on a finalement trouvé un valeureux taxi. Arrivé à la frontière canadienne, le douanier parlait français : on a eu le sentiment d’être un peu à la maison et enfin très loin des Etats-Unis. » Ne voulant pas retourner à New York, ils font tout pour rentrer en France depuis le Québec. Sans succès. Ils décolleront le 20 septembre de l’aéroport JFK. A leur arrivée le lendemain, c’est la nouvelle de l’explosion de l’usine AZF de Toulouse qui les accueille sur le tarmac.

Au sud de Manhattan, la poussière toxique est devenue le quotidien des habitants. « On ne savait pas ce qu’allait devenir New York », se souvient Julien Farel. « C’est comme si une bombe était tombée. On sentait la mort dans tous les quartiers. A chaque fois que l’on sortait, il y avait constamment cette odeur de brûlé, irrespirable. » « Dans notre quartier, plusieurs petites boutiques n’ont pas été ravitaillées pendant longtemps, car les camions ne pouvaient plus accéder à Manhattan », décrit Mireille Guiliano. « Pour beaucoup, le travail est devenu une sorte d’échappatoire : personne ne voulait rester chez soi. »

Aucun de ces quatre Français n’a perdu de proches de la tragédie. Ceux qui vivaient à New York n’ont pas voulu rentrer en France. Vingt ans après, la vie a repris son cours, rythmé par les commémorations annuelles. Dans leur voix, l’émotion reste toutefois palpable et la tristesse omniprésente. Longtemps, ils ont refusé d’aller voir le « trou » de Ground Zero. Quant à Michel Orengo, maintenant directeur des data solutions chez Moody’s Analytics (son bureau dans la tour 7 World Trade Center a longtemps donné sur les deux bassins du mémorial), il essaye de fêter ses 54 ans. Sans y parvenir. « Ca m’embête car tout le monde se souvient de la date de mon anniversaire, mais personne n’a envie de le célébrer. »


Une cérémonie en hommage des victimes françaises des attaques du 11 septembre 2001 aura lieu devant le consulat de France à New York (934 Fifth Avenue) le 12 septembre 2021 de 9h30 à 10h.