Quentin Dupieux : « J’ai grandi avec Alain Chabat »

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Jason (Alain Chabat), caméraman sur un plateau de télévision, veut réaliser son premier film. Avant de s’engager pour un financement, un producteur lui demande d’enregister le meilleur gémissement de douleur de l’histoire du cinéma. Il est aussi question de télévisions tueuses et d’une VHS bleue dans les entrailles d’un sanglier. On est bien dans l’univers de Quentin Dupieux. Egalement compositeur de musique électronique sous le nom Mr.Oizo, il signe son cinquième film, Réalité (Reality), tourné en anglais et en français dans les environs de Los Angeles. Le film sort le 1er mai aux Etats-Unis. Entretien avec le réalisateur français, installé depuis cinq ans à L.A.

France-Amérique : Pourquoi sept ans ont-ils été nécessaires pour faire ce film ?

Quentin Dupieux : Le projet est né immédiatement après le film Steak (2006), qui a été une sorte d’accident industriel. Je me suis retrouvé un peu condamné. J’ai écris Réalité ensuite, alors que cet échec n’était pas encore purgé. Ça aurait été une erreur de faire ce film à ce moment-là. Avec mon producteur, on s’est rabattu sur Rubber, un film beaucoup plus simple, tourné en très peu de temps, avec très peu de moyens. Réalité est resté dans les tiroirs car il était compliqué à financer, le script est dur à cerner et à vendre. On a attendu le bon moment pour le faire.

Que représente Alain Chabat pour vous ?

J’ai grandi avec lui, c’est un héros de la télévision que j’aime beaucoup. Je me suis toujours senti proche de lui. Les Nuls m’ont éduqué, c’était comme des grands frères. Il n’y avait pas grand chose à se mettre sous la dent à l’époque à la télévision, entre une rediffusion de Louis de Funès et Mon Curé en Espagne, Les Nuls se servaient de la culture américaine de manière intelligente, du Saturday Night Live et des films parodiques.

Etait-ce facile de le diriger pendant le tournage ?

Très facile. On s’est rendu compte très vite que l’on parlait le même langage. Il était très confiant par rapport au script, qui est la base de la direction d’acteur. Quand le scénario est bien écrit et l’acteur bien choisi, il n’y a plus grand chose à faire. C’était un bonheur de travailler avec lui. On communiquait avec très peu de mots.

Les scènes où Jason discute avec le personnage du producteur (Jonathan Lambert) sont-elles tirées d’expériences personnelles ?

C’est complètement la réalité. J’ai vécu des moments similaires avec deux producteurs français. C’était hélas pas aussi drôle. Cette grande scène avec le producteur a démarré l’écriture du film.

Y’a-t-il des films qui parlent de Hollywood qui vous ont influencé ?

Le film que j’avais surtout en tête S.O.B. de Blake Edwards (1981). C’est un film qui contient tout, drôle, absurde, sensible, un peu raté. Je n’ai pas clairement décidé d’écrire un méta-film. J’essaye d’éviter de le faire mais c’est un sujet toujours tentant pour parler de ce que l’on connaît. Y’a rien de plus chiant qu’un film qui se regarde être un film, mais cela reste séduisant. On l’a déjà vu des milliers de fois, mais je pense qu’il reste des choses à faire, sans se prendre au sérieux.

Los Angeles vous inspire-t-elle encore ?

C’est une ville qui donne envie de filmer, mais j’ai presque fait le tour de cet aspect. Je trouve toujours la lumière de Los Angeles formidable, mais je pourrais demain faire un film en décors ailleurs. Ce n’est plus la raison pour laquelle je suis là.

Pourquoi avoir choisi le morceau Music With Changing Parts de Philip Glass plutôt que votre propre musique ?

C’était clair depuis le départ. Dans Wrong Cops, j’avais utilisé 50 % de ma discographie. Il y avait un petit côté auto-masturbatoire, le mec qui fait l’image, le montage, la musique… un petit côté Vincent Gallot. Ça commençait à faire trop. Pour Réalité, je n’imaginais pas une seconde utiliser ma musique débile, puisque le film est un peu plus intellectuel que les autres. Réalité a été construit à partir de boucles, ce sont des séquences qui se répètent, se répondent et se déclinent. Le choix de Philip Glass est une évidence par la construction du film. Il fallait cette musique répétitive, qui rend cinglé, qui évolue très peu. Je ne voulais pas faire d’habillage musical. J’ai décidé sur le tournage que nous allions utiliser un seul morceau. Il n’y avait pas de meilleur choix possible que ce morceau de Glass.

Vous avez qualifié votre mise en scène de « très photographique, classique, voire chiante ».

J’ai tendance à être agacé quand la mise en scène est trop sophistiquée, quand la caméra s’envole. Je ne vois que la poudre aux yeux. On a tellement d’outils aujourd’hui pour filmer, des grues, des voitures, des caméras minuscules, des drones, des steadicams. Tout ce langage est devenu une norme, un langage tellement commun que l’on n’y fait plus attention. Quand deux personnages sont en train de discuter, on fait légèrement glisser la caméra autour d’eux pour éviter l’ennui d’une caméra statique. Je pense que c’est un truc de l’époque. J’ai l’impression que tout bouge tout le temps et qu’il y a très peu de cinéastes qui utilisent ces effets avec majesté. Je pense que les séries télévisées ont influencé ce langage. C’est devenu gratuit. Le meilleur exemple pour moi, c’est Raising Arizona (Arizona Junior), le meilleur film des frères Cœn pour moi. C’est le maximum de la virtuosité en termes d’utilisation de la caméra, chargée d’émotions, en accord avec le film. A l’époque d’Hitchcock, quand on décidait de faire un travelling, c’était pour passer une émotion. C’est facile de filmer de la merde en faisant bouger la caméra. J’ai tendance à penser que moins, c’est plus. J’ai des scénario tordus, en faisant bouger la caméra, je risquerais la surenchère, on friserait le ridicule. Je me méfie de la standardisation. La simplicité est une valeur sûre.