Albertine Diaries

Céline Tricart : « Je veux désacraliser l’accès à la culture »

Chaque mois, France-Amérique donne la parole aux pensionnaires de la Villa Albertine, l'institution culturelle du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, qui propose un programme annuel de 60 résidences artistiques et culturelles aux Etats-Unis. Ce mois-ci, Céline Tricart, autrice et réalisatrice d’expériences immersives et fondatrice de la société de production Lucid Dreams à Los Angeles. Avec l’aide de la National Gallery of Art de Washington D.C. et du musée des Beaux-Arts de Rouen, elle prépare « une promenade narrative » pour rénover l’image des musées et de la culture.
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© Alvaro Argueta

J’ai grandi dans la campagne française, en Moselle puis dans l’Isère, à plus d’une heure de route du musée le plus proche, et personne dans ma famille ou parmi mes amis ne s’intéressait à la culture. Pendant longtemps, je me suis sentie intimidée en entrant dans une galerie d’art. J’avais l’impression de ne pas être assez éduquée pour formuler une opinion éclairée sur les œuvres exposées, comme s’il me manquait une clé secrète pour déverrouiller ce monde mystérieux. Je ne me sentais pas à ma place. Pendant la majeure partie de ma vie, j’ai donc évité les musées.

En grandissant, je me suis spécialisée dans le storytelling. J’ai commencé une carrière dans le cinéma et j’ai déménagé à Los Angeles il y a neuf ans pour devenir réalisatrice. Je me suis spécialisée dans les nouvelles technologies, d’abord la 3D puis la réalité virtuelle, et mon travail se caractérise par une approche poétique et émotionnelle de la narration. Lorsque la Villa Albertine m’a proposé de participer à son programme inaugural de résidences, j’ai décidé de confronter ma Némésis : les musées et les galeries d’art.

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La National Gallery of Art, à Washington D.C. © AgnosticPreachersKid

C’est ainsi qu’est né le projet Constellations. Mon objectif est de proposer aux visiteurs une promenade narrative en réalité augmentée à la découverte des œuvres. Nous, les humains, comprenons le monde à travers la narration et ce, depuis que nous nous sommes réunis autour d’un feu pour échanger des histoires. Et avec l’utilisation de lunettes connectées pour superposer des éléments digitaux sur le monde réel, le cheminement devient une histoire vivante. Constellations est une expérience à la première personne qui vise à réconcilier les gens comme moi avec les lieux de culture.

Mon but est aussi de permettre aux visiteurs de créer des souvenirs positifs en laissant derrière eux une œuvre d’art virtuelle. En voyant leur propre création dans un musée, j’espère qu’ils retrouveront confiance en eux et cesseront de douter de leur légitimité dans le monde de l’art. Je veux désacraliser et humaniser l’accès à la culture. Pour ce faire, j’ai passé trois semaines en résidence à la National Gallery of Art, où j’ai été accueillie par Mary Morton, la conservatrice responsable de la peinture française.

L’espoir est désormais de générer suffisamment d’intérêt pour trouver les moyens de réaliser un prototype de Constellations et de le proposer au public de la National Gallery of Art et du musée des Beaux-Arts de Rouen, notre institution partenaire en France. Mais Constellations n’est pas censé être une installation ponctuelle, conçue pour un lieu ou une exposition spécifique. J’ai en tête un outil qui puisse être adapté à de nouveaux lieux, à de nouvelles histoires, et ce rapidement et à moindre coût. Un outil qui pourra être déployé partout et aidera à combler le fossé entre les musées et les gens qui comme moi ne s’y sentent pas à leur place. Un outil pour démocratiser la culture.

 

Article publié dans le numéro de septembre 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.