Livres

Olivier Guez : regarder le mal dans les yeux

Passionné d’Amérique et de recherches au long cours, Olivier Guez chronique depuis une vingtaine d’années les grands drames de l’ère contemporaine. Auteur de romans, d’articles, d’essais et d’un scénario de documentaire récompensé par l’équivalent allemand de l’Oscar, il a publié en 2017 La Disparition de Josef Mengele, traduit aux Etats-Unis en 2022. Une dérangeante fiction biographique qui retrace la fuite du criminel nazi, réfugié en Amérique latine après la Seconde Guerre mondiale.
© Estelle Hoffert

Après quelques rendez-vous manqués, on réussit enfin à le joindre par téléphone, quelques jours avant Noël, alors qu’il s’apprête à passer la frontière suisse. Olivier Guez est un homme pressé, toujours sur les routes. « J’écris pour pouvoir voyager », résume ce baroudeur passionné de football qui, à l’automne dernier, a fait une tournée américaine avec la Villa Albertine pour promouvoir La Disparition de Josef Mengele. Récompensée par le prix Renaudot en 2017, cette captivante enquête retrace la cavale du médecin nazi, mort au Brésil en 1979 sans jamais avoir été réellement inquiété pour les crimes commis à Auschwitz. « Ce livre est le dernier volet d’une trilogie sur l’Europe d’après-guerre et particulièrement sur l’Allemagne; je voulais raconter cette histoire du point de vue d’un meurtrier », confie l’auteur. Dans le premier volet, L’Impossible retour : Une histoire des juifs en Allemagne depuis 1945 (2007), il tentait de comprendre comment une société pouvait se remettre d’un cataclysme et pourquoi les victimes de la Shoah étaient revenues. Dans le deuxième, un scénario de documentaire coécrit avec le réalisateur Lars Kraume, il faisait le portrait de Fritz Bauer, un procureur juif allemand qui a poursuivi les criminels nazis dont Adolf Eichmann, arrêté en Argentine.

© Léa Chassagne

C’est justement en travaillant sur l’Argentine des années 1950 qu’Olivier Guez est tombé sur la figure de Josef Mengele, arrivé à Buenos Aires en 1949 avec un faux passeport, grâce à un réseau d’anciens SS. « Son nom a une réputation maléfique et il y a quelque chose de pervers dans son regard. Cela a pris du temps de maîtriser la bête… Ce qui m’a aidé, c’est de raconter sa chute, le déclin, la paranoïa et la solitude de cet homme. » Nourri de plusieurs années de recherches sur le terrain et d’une solide bibliographie, le livre assume la fiction, même si les faits racontés sont avérés. « Un roman est plus fort qu’un essai », constate l’écrivain. « J’avais en tête De sang-froid de Truman Capote. On ne sait pas ce qu’il a inventé, mais il donne une idée précise de l’itinéraire des deux assassins. Je voulais faire la même chose avec Mengele. J’avais une responsabilité vis-à-vis du lecteur et vis-à-vis de moi-même. Ma liberté était celle d’un cinéaste qui met en scène des informations historiques. »

Un Européen en Amérique

Elevé à Strasbourg par des grands-parents juifs originaires d’Europe centrale, germanophones et « plus français que les Français », Olivier Guez, né en 1974, se définit comme un enfant de l’après-guerre : « C’est le monde dans lequel j’ai grandi, cette période grise et ambiguë qui continue aujourd’hui de configurer les sociétés européennes. » Profondément attaché à l’Europe, il a toutefois un pied sur le continent américain depuis l’adolescence. A l’âge de quinze ans, en 1989, il découvre la Californie avec un groupe de jeunes. Après des études à Sciences Po Strasbourg, à la London School of Economics et au Collège d’Europe de Bruges, il tombe amoureux de la « fébrilité créative » de New York, extraordinaire pourvoyeuse d’histoires. Dans les années 2000, jeune journaliste, il y retourne deux ou trois fois par an, rencontrant des écrivains et intellectuels comme Philip Roth ou Francis Fukuyama, et participe à l’International Visitor Leadership Program, organisé par le département d’Etat américain. En 2012, il publie American Spleen, récit d’un périple dans l’Amérique d’Obama, de Washington à Chicago, en passant par le Wisconsin, le Montana, l’Utah et l’Arizona. « J’ai entrepris ce voyage pour comprendre ce que devenait la droite américaine, qui n’avait pas encore de grand manitou. C’était la grande période des Tea Parties, très mal connus en France. Avec beaucoup d’imperfections, j’ai tenté de faire un diagnostic de la crise américaine. Très marqué par Amérique, le livre de Jean Baudrillard, j’étais aussi attiré par les paysages de l’Ouest et les grands espaces. »

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© Léa Chassagne

Dans ce road trip littéraire et documentaire, Olivier Guez parle avec des extrémistes de droite étonnés par ce Français qui les écoute longuement, séjourne en terre mormone, rencontre les écrivains Lydia Millet et Jim Harrison. Le spleen qui se dégage de ce livre est autant le sien que celui d’une Amérique en colère qui porte tous les signaux annonciateurs du trumpisme. « Je suis rentré complètement déprimé de ce voyage, inquiet de la violence, de la bêtise, du fascisme. Dix ans plus tard, c’est la même chose en pire. La seule différence, ce sont les réseaux sociaux, qui n’existaient pas à l’époque. L’autre nouveauté, c’est l’ultra-polarisation du débat, une partie de la gauche est devenue aussi radicale et dingue qu’une partie de la droite. » Réconcilié avec les Etats-Unis à la faveur de sa récente tournée de promotion, il a retrouvé avec bonheur l’énergie new-yorkaise et renoué avec Chicago : « Je suis tombé amoureux de cette ville qui m’a rappelé Buenos Aires, ma ville préférée, une vraie source d’inspiration. Comme dans les histoires d’amour, on ressent quelque chose de physique, on commence à rêvasser… C’est ce que j’ai ressenti à Chicago. »

Longtemps reporter pour la presse française et étrangère, dont le New York Times, Olivier Guez se consacre désormais à la littérature et aux conférences qu’il donne dans le monde entier. « Je me suis toujours senti plus écrivain que journaliste. J’aime des choses très différentes, c’est ma liberté », admet-il en citant des cinéastes inclassables tels que Werner Herzog et Barbet Schroeder. Ces dernières années, il a beaucoup voyagé en Amérique du Sud – Argentine, Brésil, Pérou – une région qui dégage « quelque chose d’exotique et de très familier qu’on retrouve aussi dans certains coins des Etats-Unis ». Depuis cinq ans, il se documente sur l’Empire britannique au début du XXe siècle, le sujet de son prochain livre, qu’il doit rendre à son éditeur à la fin de l’hiver : « J’ai effectué un gros travail de fond, je n’aime pas l’imprécision et je ne pense pas qu’on puisse faire de la narrative non-fiction sans bien connaître son sujet. Que j’écrive sur le football argentin ou sur l’Empire britannique, j’adore apprendre. J’ai la chance de pouvoir le faire à plein temps. »


La Disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez, Grasset, 2017.


Article publié dans le numéro de février 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.