John Perello a quitté la région parisienne pour aller passer quelques jours dans sa maison sur l’île de Ré. Au téléphone, des voix d’enfants et des chants d’oiseaux se mêlent à notre conversation : l’artiste était en train de jardiner. Un bref moment de répit pour cette personnalité très sollicitée. Voici plusieurs mois qu’il prépare son exposition au musée du Touquet, dans le Pas-de-Calais. Au début du printemps, il était à Miami, où il a inauguré un accrochage à la Fabien Castanier Gallery et signé une fresque extérieure sur près de 40 mètres de long. Avant ça, il a passé une semaine à Montgomery, dans l’Alabama, pour achever une peinture en plein air intitulée DNA, à deux pas du musée Rosa Parks.
Dans cette ville à l’histoire complexe, où « vous pouvez encore sentir une forme de ségrégation, une forme de tension », son style abstrait fait mouche. Plutôt que de peindre une nouvelle fresque politique à la mémoire du mouvement pour les droits civiques, il enduit un vaste mur beige d’arabesques aux couleurs de l’arc-en-ciel. Un symbole d’unité qui interpelle les passants sur Lee Street. « Mon travail a apporté une certaine légèreté et a réuni les Noirs et les Blancs », explique-t-il. « J’ai réalisé à quel point un artiste abstrait pouvait toucher une communauté. C’est l’une des œuvres les plus intéressantes de ma carrière. »
La carrière de John Perello a commencé dans les rues de New York. Dans les années 1980, il s’arme d’une bombe de peinture et couvre les murs de messages d’amour adressés à sa petite amie d’alors. Suivront une succession de blazes, qu’il tague en grosses lettres ventrues sur les devantures et les rames de métro : « Jon », «Jon156 », en référence à la rue de Washington Heights où il a grandi, dans le nord du Manhattan, ou « JoneOne », qui devient sa signature. En parallèle, un ami lui fait découvrir le monde artistique du sud de la ville, les galeries de SoHo, les soirées au Studio 54, où il croise Basquiat et Warhol. « J’ai toujours été très curieux », confie-t-il. « J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes. »
En 1987, à l’invitation du graffeur français Philippe « Bando » Lehman, il s’envole pour Paris. « J’étais fatigué de l’Amérique, fatigué d’être le bad guy », se souvient le peintre d’origine dominicaine, naturalisé français il y a quelques années. « J’avais besoin de nouvelles opportunités. Si j’étais resté à New York, je serais probablement mort, en prison ou en cure de désintoxication à l’heure actuelle. La vie dans le ghetto… La France a été bien plus accueillante. »
Le pionnier du marché de l’art urbain
JonOne trouve sa place au cœur de la scène alternative qui fleurit alors dans la capitale. Il écoute en boucle Radio Nova, la station FM libre qui émet depuis le quartier de Bastille, et travaille dans le 18e arrondissement, où le vieil hôpital Bretonneau, abandonné, accueil des ateliers d’artistes. C’est là qu’il réalise ses premières œuvres expressionnistes abstraites. Des toiles qui participeront, une dizaine d’années plus tard, à l’éclosion du marché de l’art urbain. Balle de match, réalisée à la bombe en 1993, franchira le 6 juin 2007 la barre symbolique des 20 000 euros chez Artcurial. La vente, selon Arnaud Oliveux, directeur associé de la maison parisienne, représente un événement « marquant » dans la carrière de l’artiste, « et plus largement [pour le marché] du graffiti ».
Artcurial jouera « un rôle important dans le développement du marché de JonOne », poursuit le commissaire-priseur. « Nous avons obtenu de très bons résultats, aussi bien sur des œuvres anciennes que récentes. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 71 240 euros pour R.I.P. Rest in Peace (1991) en février 2014, 77 000 euros pour When da Truth Speaks (2009) en juin 2018, 80 600 euros pour A to the Z in 5 Seconds (1990) en novembre 2019, 46 8 00 euros pour Spring Time in Paris (1990) en février 2020. Le marché s’est depuis « un peu assagi », avec des enchères comprises entre 5 000 et 25 000 euros.
Le coup d’éclat de l’artiste reste la vente… d’une Rolls Royce. En novembre 2012, il est invité à peindre la voiture du footballeur-acteur Eric Cantona, en direct sur le plateau du Grand Journal de Canal+. Une œuvre sur roues, vendue au profit de la Fondation Abbé Pierre pour la somme de 125 000 euros. A la même époque, JonOne expose au Grand Palais, à la Fondation Cartier et chez Agnès b. Le street art fait vendre, et les plus grandes marques françaises s’arrachent le peintre américain : Air France, Lacoste, Guerlain, Perrier, Hennessy, et même Thalys, dont il peint le train Paris-Bruxelles !
Le 21 janvier 2015, c’est la consécration. Son tableau Liberté, Egalité, Fraternité, relecture de La Liberté guidant le peuple de Delacroix sur près de trois mètres de haut, entre dans la collection permanente de l’Assemblée nationale. Quelques jours seulement après les attentats contre Charlie Hebdo, l’événement est symbolique. « C’est une toile qui représente la lutte, la résistance, le dépassement de toutes les fatalités », déclare alors Claude Bartolone, le président du palais Bourbon. « C’est une fusion de ce que l’art ancien et l’art actuel ont produit de plus émouvant. »
En se remémorant cette journée, les discours, les accolades, John Perello hésite. « Est-ce que je me sens français ? Est-ce que je me sens américain ? Je ne suis pas sûr… Je suis seulement John, le mec qui vit cette folle vie. » Plus de quarante ans après ses débuts new-yorkais, il présentera au Touquet ses dernières œuvres abstraites : des commentaires sur les effets néfastes des réseaux sociaux, la disparition de l’écriture manuscrite dans les écoles, l’importance de rêver, le monde qui change. Et toujours, ce même déluge de couleurs. « Mon travail a beaucoup évolué », reconnaît-il. « Je suis artiste polyvalent : c’est ainsi que j’ai survécu pendant toutes ces années ! »
JonOne: The World of Tomorrow, du 17 juin au 5 novembre 2023 au musée du Touquet-Paris-Plage.
Article publié dans le numéro de juin 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.